Russie : Evgueni Prigojine joue son va-tout, situation extrêmement tendue en Russie
AFPLa crise est désormais ouverte entre Evgueni Prigojine, le chef de la milice Wagner, et l’Etat russe. Après plusieurs mois d’escalades verbales et d’insultes dirigées contre les hauts responsables militaires (mais jamais contre Vladimir Poutine lui-même) la milice Wagner a quitté ses bases ukrainiennes et est rentrée en Russie où elle a pris le contrôle de plusieurs centres de commandements civils et militaires à Rostov-sur-le-Don et dans d’autres villes du sud de la Russie. Après plusieurs heures de flou, et alors que la situation reste extrêmement confuse dans le sud du pays, Vladimir Poutine a pris la parole en milieu de matinée (heure de Moscou). Dans une déclaration enregistrée, il a dénoncé une « trahison », affirmant que tout serait fait pour rétablir l’ordre. Le régime d’opération antiterroriste (une sorte d’état d’urgence) a été décrété à Moscou et dans le sud. Retour sur les heures où tout a basculé.
Tout a commencé tard vendredi, lorsque le chef de la milice Wagner, Evgueni Prigojine, a accusé l’armée russe d’avoir bombardé ses positions et fait de nombreuses victimes dans ses rangs, appelant ensuite à un soulèvement contre le commandement militaire.
Des blindés sont déployés dans les rues de Moscou pour la première fois depuis 30 ans
Chronologie d’un putsch
01h15 (locales) : Des rumeurs persistantes de mouvements militaires dans les villes proches de la frontière ukrainienne commencent à se répandre. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov déclare peu après que Vladimir Poutine « est informé de tous les évènements autour de Prigogine » et que « les mesures nécessaires » sont « en train d’être prises ».
A peu près au même moment, le FBS accuse le chef de Wagner d’appeler à la guerre civile et annonce l’ouverture d’une enquête. Au même moment, des blindés sont déployés dans les rues de Moscou, pour la première fois depuis la deuxième tentative de coup d’Etat, il y a 30 ans, tandis que la police lance un raid contre le QG de WAGNER, à Saint Petersbourg.
01h30 : Le général Sergueï Sourovkine (l’un des hommes forts de la guerre en Ukraine) appelle à « obéir aux ordres » du Président. Quinze minutes plus tard, l’agence Tass confirme que « les mesures de sécurité ont été renforcées à Moscou » : « Les sites importants, les organes d’Etat et les infrastructures de transport ont été placées sous protection. » Les médias audiovisuels d’Etat multiplient les appels aux soldats de Wagner « à ne pas suivre les ordres criminels » de leur chef.
02h15 : Evgueni Prigojine affirme que ses troupes sont entrées sur le territoire russe et assène : « Si quelqu’un se met en travers du chemin, nous détruirons tout le monde. Nous irons jusqu’au bout. » Le Procureur général confirme l’ouverture d’une enquête pour trahison. La plateforme Google actualité (et d’autres sites) est inaccessible en Russie. Une dizaine de minute plus tard, des images (non confirmées) témoignent de la mise en mouvement de longues colonnes de véhicules de chars et d’unités anti-émeutes à Krasnodar (300 kilomètres de Rostov).
03h00 : Un peu avant trois heures du matin, Evgueni Prigojine affirme que ses hommes ont abattu un hélicoptère de combat russe qui avait ouvert le feu « sur des civils ». Des vidéos de combats dans la région de Rostov commencent à circuler sur les réseaux sociaux.
03h52 : A Voronej, le plan « Forteresse », visant à protéger les forces de l’ordre est les centres de pouvoir de toute attaque armée est déclenché.
05h15 : Alors que le jour se lève sur la Russie, de nouvelles vidéos apparaissent, montrant des déploiements de blindés et d’unités militaires sensées appartenir au groupe Wagner à Rostov. Un convoi militaire de Wagner est signalé sur l’autoroute M4, en direction de Moscou. Dans un nouveau message, Prigogine annonce que lui et « ses vingt-cinq mille hommes sont prêts à mourir pour la patrie et pour libérer le peuple russe de la hiérarchie militaire ». Un second hélicoptère russe aurait été abattu, cette fois au-dessus de la M4, affirment des sources de Wagner.
05h56 : L’opposant en exil Mikhaïl Khodorkovski appelle à aider Prigojine.
L’avancée foudroyante sur Moscou s’expliquerait par la « passivité » de certains services officiels russes.
07h00 : Evgueni Prigojine affirme que ses forces contrôlent totalement Rostov-sur-le-Don et exige de rencontrer le ministre de la Défense Sergueï Choïgu et le chef d’état-major Valéri Guerassimov, faute de quoi il menace de marcher sur Moscou.
09h35 : Tous les évènements publics sont annulés à Moscou. L’armée prend position sur l’autoroute M4 pour couper la route au convoi de Wagner, des checkpoints sont mis en place sur toutes les routes permettant d’accéder à la capitale. Selon l’état-major britannique, les hommes de Wagner auraient déjà atteint les environs de Voronej, à mi-chemin entre Moscou et Rostov. Selon les Britanniques, la prise de Rostov par Wagner et l’avancée foudroyante sur Moscou s’expliquerait par la « passivité » de certains services officiels russes.
10h00 du matin : L’air grave, habillé de noir, Vladimir Poutine prend la parole et évoque une « menace mortelle » pour l’Etat russe : « Nous nous battons pour la vie et la sécurité de notre peuple. Nous avons besoin que toutes les forces soient unies face à ce coup de poignard dans le dos. Nous faisons face à une trahison dont les responsables seront traduits en justice. »
Retournement de situation
Les évènements en cours en Russie marquent une rupture nette, et décisive entre Prigojine et Poutine. Depuis des mois, Evgueni Prigojine attaquait (souvent violement) la hiérarchie militaire russe, l’accusant de lâcheté et d’abandon et affirmant qu’il ne recevait pas les moyens nécessaires (entre autres les munitions) alors que ses hommes étaient souvent en première ligne et tombaient par centaines. Mais il avait toujours évité d’aller trop loin et ne s’était jamais attaqué ouvertement à Vladimir Poutine, au point de faire croire à une alliance secrète entre les deux hommes afin de marginaliser les chefs militaires.
Cette nuit encore, le chef de Wagner n’a pas évoqué le locataire du Kremlin, concentrant sa colère sur le ministre de la Défense et le chef d’état-major. De son côté, Vladimir Poutine, dans son adresse à la Nation, s’est bien gardé de prononcer le nom de Prigojine, parlant seulement d’un « traître ». Mais, ainsi qu’en témoigne la fermeté du discours du chef de l’Etat, la rupture semble désormais totale entre les deux hommes.
Vers 11h30 (heure locale) la situation restait extrêmement confuse, mais il semblerait que la poussée de Wagner vers Moscou se poursuivait à une vitesse foudroyante, des colonnes de chars rebelles et de camions étaient signalées à une centaine de kilomètres de la capitale.
Les prochaines heures seront décisives mais l’issue des évènements en cours dépend des réponses à plusieurs questions qui restaient ouvertes au moment où nous bouclions ce premier papier :
Premièrement, y-a-t-il eu coordination entre Prigogine et les Ukrainiens ? L’hypothèse peut sembler délirante mais rien ne peut être exclu. On sait que, depuis des mois, Evgueni Prigojine entretenait des liens avec les renseignements ukrainiens, allant parfois jusqu’à livrer des informations sur les positions occupées par ses rivaux de l’armée officielle.
Deuxièmement : Kiev va-t-elle profiter de la confusion pour accélérer sa contre-offensive qui semble marquer le pas depuis plusieurs jours ?
Troisièmement : quelle sera l’attitude de la population russe (qui, à Moscou et à Rostov semble très calme) ? Et, surtout, comment va réagir la base de l’armée ? En d’autres termes, le putsch de Prigojine est-il d’une ampleur limitée à sa seule milice ou peut-il espérer des ralliements ? On peut même aller plus loin : l’offensive de Wagner est-elle le prélude à un soulèvement, peut-être préparé depuis des mois, contre Vladimir Poutine ?
Quatrièmement : L’Etat peut-il régler la situation dans le sud sans dégarnir ses forces en Ukraine (ce qui faciliterait l’offensive ukrainienne que nous venons d’évoquer).
Cinquièmement : Les troupes de Wagner pourront-elles arriver jusqu’à Moscou et, si c’est le cas, que se passera-t-il ? Peut-on imaginer que Vladimir Poutine fasse droit aux revendications d’Evgueni Prigogine ou risque-t-il d’être renversé ?
Les réponses à certaines de ces questions interviendront dans la journée, pour d’autres, il faudra sans doute attendre un peu. La seule certitude, ce samedi en fin de matinée, est que Vladimir Poutine affronte certainement la crise la plus grave qu’il ait connue depuis son accession au pouvoir, en 1999 et que la Russie pourrait être au bord de l’implosion.
Les heures à venir seront décisives.
Hugues KRASNER
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Source: LPOST
