La Russie a un réseau optimal de satellites économiques pour contourner les sanctions
Le ministre allemand de l’Economie et de la protection du climat, Robert Habeck (à droite), serre la main du ministre chinois du Commerce, Wang Wentao, alors qu’il arrive pour assister aux consultations économiques germano-chinoises le 20 juin 2023 au ministère de l’économie à Berlin. AFPUne des armes majeures de l’Occident pour tenter de faire plier un pays qui contreviendrait au droit international, ou à ses intérêts et ses valeurs, est, depuis longtemps, l’arme économique. La question des sanctions imposées à un pays tiers suscite régulièrement de nombreux débats. Efficacité ou pas ? Ce qu’on sait des principaux pays qui en ont été les victimes depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale, c’est qu’ils ont toujours non seulement résisté, mais aussi survécu pendant longtemps, s’adaptant, rebondissant, se cherchant de nouvelles alliances, et profitant du soutien d’autres pays réfractaires à l’Occident. Cuba, Corée du Nord, Iran, et Russie en savent quelque chose.
Dans le cas plus récent de la Russie, depuis un an et demi, on voit bien à quel point le régime des sanctions mises en place par les Occidentaux pour tenter de faire plier la Russie et l’affaiblir économiquement a ses limites. Ceux qui pensaient que le régime s’effondrerait au bout de quelques semaines se sont un peu trop avancé. Ceux qui pensaient que Moscou serait largement handicapé de ne pouvoir désormais ne plus vendre son gaz aux Européens se sont mis le doigt dans l’œil.
Certes, la Russie a, un temps, pris un coup. Si une bonne partie des réserves de la Banque de Russie déposée en Europe et aux Etats-Unis n’est plus accessible depuis un an et demi, elle a eu, depuis un an, c’est une réalité, moins de moyens pour soutenir le rouble en chute libre.
Beaucoup de banques sont paralysées, avec l’impossibilité d’accéder dorénavant au système swift. Montée des crédits, inflation galopante sont un autre fait. Pourtant, les sanctions ne créent pas de graves pénuries, mais elles ont déstabilisé les PME, soit 25% de l’économie russe. Depuis, Moscou cherche à s’adapter pour désenclaver son système bancaire. Un des exemples récents a notamment été la signature d’un accord fin janvier dernier pour connecter leurs systèmes de messagerie interbancaire et « un club des parias du système bancaire international serre les rangs »[1] depuis.
Des partenaires au secours de la Russie
Toutefois, un rapport récent de mars dernier de la Deutsche Welle minore largement les effets, à long terme, des sanctions imposées par les Européens au régime de Poutine[2]. Contournements, nouveaux partenaires, nouveaux accords, non application pure et simple par certains : Moscou s’en sort mieux que prévu car, suivez notre regard : nombre de pays tiers concourent à affaiblir le système mis en place par les Occidentaux.
Les données commerciales montrent que les marchandises de l’UE interdites à l’exportation arrivent toujours en Russie, principalement en provenance des pays d’Asie centrale.
Pourquoi ? Car la Russie peut compter sur ses partenaires tels que la Chine et l’Inde pour revendre son gaz désavoué par l’Europe, mais aussi d’autres pays qui ont fait le choix de ne pas appliquer les sanctions : Israël, les Emirats Arabes Unis, la Turquie, la Serbie, le Tadjikistan, le Kazakhstan, l’Arménie et bien d’autres encore. D’ailleurs, pour se rendre en Russie en avion, il suffit de faire escale par l’un de ces nombreux pays. C’est bien qu’il y ait d’un côté les Occidentaux cornaqués par les Américains et de l’autre, une bonne partie du Sud global qui ne souhaite ni interférer, ni se mettre à dos des grandes puissances régionales dont certains membres pourraient avoir besoin, aussi bien en termes de business que de sécurité. Preuve en est : les derniers chiffres du FMI montre certes le fléchissement des importations russes en 2022 par rapport à 2021 de 15%, et des exportations de près de 9%. Mais déjà entre 2022 et 2023, les importations ont augmenté de 8,25% et les exportations repassent en positif avec 0,24%[3]. La tendance devrait s’accélérer sur 2023-2024.
Le Caucase et l’Asie centrale épinglés
Moscou est bien toujours debout. Un rapport récent du Parlement européen du 24 mai 2023 reprenait plusieurs chiffres parus dans les médias et accusait en particulier une partie du Caucase et de l’Asie centrale de servir de relais économiques à la Russie en permettant le contournement du régime de sanctions des Occidentaux : « Selon un rapport de mars 2023 de Deutsche Welle, malgré les sanctions de l’UE, l’économie russe ne s’est pas contractée comme prévu. Les données commerciales montrent que les marchandises de l’UE interdites à l’exportation arrivent toujours en Russie, principalement en provenance des pays d’Asie centrale. En février 2023, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement a publié un rapport montrant que les exportations de l’UE et du Royaume-Uni vers l’Arménie, le Kirghizistan et le Kazakhstan ont augmenté de 90 % après l’imposition des sanctions. Certains de ces biens sont des articles de haute technologie utilisés par l’armée en Russie. »[4]
La Serbie, comme le Kazakhsthan ou l’Arménie importent énormément de machines à laver depuis plusieurs mois et pas à de simples fins domestiques et nationales. Mais plutôt pour laver leur linge en famille avec la Russie, car une fois sur place, elles sont démontées, et les semi-conducteurs sont envoyés en Russie. En effet, Moscou n’en fabrique pas et les semi-conducteurs se retrouvent par la suite sur les hélicoptères d’attaque russe MI24[5]. C’est bien la preuve que certains pays jouent le jeu de Moscou tout en souhaitant toujours bénéficier du soutien et de la grâce des Européens pour développer leurs économies. C’est un jeu dangereux. Mais la présence de tous les dirigeants de ces pays cités plus haut au défilé militaire de Vladimir Poutine à Moscou le 9 mai dernier est la démonstration la plus frappante de la loyauté/vassalité de ces pays à son égard : le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan, le président biélorusse Alexander Lukashenko, le président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokayev, le président du Kirghizstan Sadyr Japarov, celui du Tadjikistan Emomali Rahmon, le président du Turkménistan, Serdar Berdimuhamedov. Tous étaient tous aux côté du Président Russe sur la Place Rouge[6].
Trois pays dans le viseur de l’Europe
Tout comme la Deutsche Welle dénonçant la relative porosité du régime des sanctions, c’est le ministre fédéral allemand de l’Economie et du Climat, Robert Habeck, qui en rajoutait une couche en février dernier : « Les chiffres dont nous disposons indiquent que nombre de produits manufacturés en Europe sont exportés de façon considérable depuis des mois depuis l’Union vers des pays tiers, et de là, rejoignent la Russie »[7].
L’Europe cherche, à chaque fois, la contre-offensive et a voté de nouveaux paquets de sanctions. Désormais, elle n’hésite plus à évoquer le bannissement des exportations vers les pays concernés suspectés de concilier avec le régime de Poutine. Cela concernerait en premier lieu les produits de haute technologie ou qui disposent de circuits imprimés susceptibles d’être réutilisés à des fins militaires en Russie. Le ministre allemand Robert Habeck reconnaissait lui-même, dans un article en février dernier, la responsabilité de l’Allemagne dans la fuite au cœur du régime des sanctions. Refusant de citer les entreprises suspectées, il croyait savoir que nombre de compagnies allemandes exportaient vers ces pays tiers des produits sensibles.
Sept entreprises chinoises pourraient faire l’objet d’un gel des avoirs dans l’UE, comme l’auraient déclaré des diplomates familiers avec la proposition.
L’Europe, elle-même, a dans le viseur en particulier, en dehors des pays d’Asie centrale et du Caucase évoqués plus haut, trois pays qui alimenteraient majoritairement le circuit de contournement des sanctions : la Chine bien sûr en haut du podium, la Turquie ensuite et les Émirats Arabes Unis derrière. Ces trois pays suspectés de ne pas imposer de sanctions semblent aller bien plus loin. La Deutsch Welle (DW) détaillait en mars dernier les arguments européens contre la liste noire des pays concernés: « Les experts de l’UE ont attesté que la Turquie avait pris des mesures plutôt décisives pour mettre un terme aux évasions sanctionnées. Et selon Reuters, sept entreprises chinoises pourraient faire l’objet d’un gel des avoirs dans l’UE, comme l’auraient déclaré des diplomates familiers avec la proposition. Lundi, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin, a déclaré que son pays exhortait l’UE à ne pas emprunter la “mauvaise voie” et que la Chine était prête à prendre des mesures pour protéger ses droits et ses intérêts. En mars, Beata Javorcik, économiste en chef à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et co-auteur d’une étude sur les données commerciales, a proposé trois autres noms : l’Arménie, le Kazakhstan et le Kirghizistan. À l’époque, aucun de ces pays n’a répondu à la demande de commentaires de DW. »[8]
Par Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques et expert en géopolitique.
[1] https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/la-russie-poursuit-ses-efforts-pour-desenclaver-son-systeme-bancaire-1908359
[2] https://www.dw.com/en/russias-war-in-ukraine-eu-focuses-on-sanctions-circumvention/a-65070607 and https://www.dw.com/en/russia-sanctions-eu-to-name-and-shame-sanction-evaders/a-65553941
[3] https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/impact-sanctions-russian-economy/#:~:text=Selon%20les%20estimations%20du%20FMI,augmenteront%20de%200%2C24%20%25.
[4] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/P-9-2023-001636_EN.html
[5] https://www.tf1info.fr/international/video-guerre-en-ukraine-pourquoi-la-russie-s-interesse-a-nos-appareils-electromenagers-2239196.html
[6] https://www.lalibre.be/international/europe/guerre-ukraine-russie/2023/05/09/qui-etaient-les-chefs-detat-etrangers-presents-au-defile-du-9-mai-a-moscou-photos-XD4NDGECQNET5MSBVWMKEYQKBU/
[7] Article de la Deutsche Welle déjà cité.
[8] Article déjà cité de la DW
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Source: LPOST
