Souveraineté culturelle, etc. : l’entrée de JD.com au capital de Fnac Darty inquiète Paris et interroge Bruxelles
L’annonce, mi-novembre 2025, de la décision du géant chinois, JD.com, de racheter le distributeur allemand, Ceconomy, deuxième actionnaire de Fnac Darty (il détient 21,95% des parts), a immédiatement déclenché une onde de choc bien au-delà des cercles financiers. Le gouvernement français a activé en urgence une procédure de contrôle des investissements étrangers, tandis que les autorités belges se sont saisies du dossier, scrutant les implications pour leur marché et leur souveraineté culturelle et numérique. La manœuvre du géant chinois du e-commerce pose une question cruciale : que signifie, en 2025, l’arrivée d’un groupe soumis au cadre légal de Pékin au capital d’un acteur européen détenant des millions de données sensibles sur les habitudes culturelles et de consommation en France et en Belgique ?
L’opération, révélée le 15 novembre 2025, s’inscrit dans la stratégie d’expansion européenne de JD.com, qui a lancé une Offre publique d’achat (OPA) sur Ceconomy, actionnaire historique de Fnac Darty et propriétaire des enseignes MediaMarkt et Saturn.
Si l’offre, valorisant Ceconomy à 2,2 milliards d’euros, met fin aux difficultés boursières du groupe allemand, elle place JD.com en position d’influencer directement un réseau culturel et électronique.
Si l’offre, valorisant Ceconomy à 2,2 milliards d’euros, met fin aux difficultés boursières du groupe allemand, elle place JD.com en position d’influencer directement un réseau culturel et électronique structurant en Europe.
Un enjeu français : la culture et les données, nouveau front de la souveraineté
Pour les autorités françaises, l’acquisition dépasse le simple mouvement capitalistique. Fnac Darty incarne un maillon essentiel de l’écosystème culturel français : avec plus de 12 millions de clients récurrents, 189 magasins et une place de premier vendeur de livres, l’enseigne représente un modèle unique de diffusion culturelle, alliant présence physique, conseil et diversité de l’offre.
Ce risque d’accès aux données par Pékin a poussé Bercy à exiger des garanties strictes : verrouillage de la participation de JD.com, stockage exclusif des données en Europe.
Mais son véritable trésor réside dans ses données : les programmes de fidélité regroupent près de deux millions d’abonnés, détenant des historiques détaillés d’achats culturels, de comportements, de localisation et d’abonnements aux services comme Darty Max.
La crainte française s’ancre dans un cadre juridique précis : la loi chinoise sur le renseignement national de 2017 peut contraindre toute entreprise basée en Chine à coopérer avec les autorités, y compris pour ses activités extraterritoriales.
Ce risque d’accès aux données par Pékin a poussé Bercy à exiger des garanties strictes : verrouillage de la participation de JD.com, stockage exclusif des données en Europe, encadrement renforcé des flux internes, audits techniques et transparence totale sur la gouvernance.
La dimension belge : un marché structuré, des données sensibles
L’inquiétude n’est pas que française. En Belgique, Fnac Darty est un acteur majeur de la distribution, articulé autour de deux piliers : les magasins Fnac (13 points de vente) et, surtout, Vanden Borre, chaîne spécialisée dans l’électroménager et la technologie, forte de 71 magasins. Au 31 mars 2025, l’ensemble Fnac-Vanden Borre totalisait 84 points de vente sur le territoire belge.
Fnac-Vanden Borre a généré un chiffre d’affaires d’un peu plus de 505 millions d’euros en 2024 en Belgique.
Cette implantation massive n’est pas seulement commerciale ; elle est aussi stratégique. Fnac-Vanden Borre a généré un chiffre d’affaires d’un peu plus de 505 millions d’euros en 2024 en Belgique. Surtout, les clients de Vanden Borre et de la Fnac belge produisent un flux continu de données comportementales, d’historiques d’achat et de préférences techniques, il s’agit d’un un capital data qui intéresse au plus haut point JD.com.
Dans un pays où les débats sur la souveraineté numérique sont récurrents comme l’ont illustré les dossiers Proximus-Huawei ou la gestion des données de santé, l’arrivée d’un acteur chinois dans la chaîne de distribution soulève des enjeux identiques à ceux perçus en France : localisation des données, contrôle de leur usage, et exposition à la législation extraterritoriale chinoise.
Un géant chinois deviendra bientôt le deuxième actionnaire de la Fnac. (Thibaud MORITZ / AFP)
L’équation actionnariale : Křetínský en arbitre
La situation est d’autant plus complexe que Daniel Křetínský, principal actionnaire de Fnac Darty via Vesa Equity (28,28%), occupe une position clé. Il est aussi présent dans la presse en France. En effet, via le groupe, il est propriétaire des magazines Elle, Télé 7 Jours, Marianne, France Dimanche, Ici Paris et Franc-Tireur. Sa marge de manœuvre est réelle, mais non illimitée, laissant planer une incertitude sur l’évolution de l’actionnariat dans les mois à venir.
Les discussions entre JD.com et le gouvernement français sont continues et tendues. Trois issues se dessinent :
Le blocage pur et simple de l’opération, geste politique fort mais susceptible de contestation dans les enceintes européennes.
L’acceptation sous conditions drastiques, créant un précédent en matière de protection des données culturelles et comportementales.
La recherche d’un « chevalier blanc » européen pour reprendre la participation de Ceconomy, solution coûteuse mais alignée avec la doctrine de souveraineté.
Pour la France comme pour la Belgique, ce dossier cristallise un enjeu plus large : celui de la souveraineté culturelle et numérique dans une Europe de plus en plus perméable aux influences extérieures.
En septembre, face à l’arrivée attendue de JD.com au capital de Fnac Darty, le ministère de l’Économie avait demandé au groupe chinois de déposer une demande d’examen au titre du contrôle des investissements étrangers en France (IEF). Le ministère de l’Economie a confirmé que le groupe chinois l’a fait.
À travers ce dispositif, la France veut préserver ses intérêts économiques en soumettant tout investissement étranger à une autorisation préalable dans certains secteurs sensibles.
À travers ce dispositif, la France veut préserver ses intérêts économiques en soumettant tout investissement étranger à une autorisation préalable dans certains secteurs sensibles. Le ministère de l’Economie a 30 jours pour statuer sur l’éligibilité de la demande. Si elle est jugée recevable, Bercy pourra aussi assortir son autorisation de conditions imposées à l’entreprise avant son arrivée au capital.
La procédure peut prendre jusqu’à trois mois. Le ministère assure qu’il analysera « avec la plus grande rigueur et vigilance les conditions de ce potentiel rachat en application du droit », a-t-il précisé, ajoutant que les biens culturels vendus par Fnac Darty ne sont « pas des biens comme les autres ».
H.C.
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Source: LPOST

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