Madagascar menacé par un risque du chaos : entre rumeur de coup d’état et fuite du Président


Madagascar menacé par un risque du chaos : entre rumeur de coup d’état et fuite du Président
À Antananarivo, le pouvoir semble bien vaciller. Ce dimanche 12 octobre 2025, la Présidence affirmait au matin qu’« une tentative de prise de pouvoir illégale » était en cours, après que des soldats de l’unité d’élite CAPSAT aient rejoint les manifestations en cours depuis deux semaines. Plusieurs médias locaux rapportaient alors que la localisation du Président malgache, Andry Rajoelina, était inconnue, nourrissant les rumeurs selon lesquelles il aurait quitté le palais d’Iavoloha, tandis que l’armée installait, de son côté, un nouveau chef d’état-major, le général Démosthène Pikulas. Le président serait en fuite, mais l’intéressé dit se trouver dans « un lieu sûr » et appelle au respect de la Constitution. Reste à voir s’il sera entendu.
Si, à ce stade, il est difficile de confirmer un coup d’Etat, tant l’armée a passé la journée à affirmer qu’elle ne souhaitait pas prendre le pouvoir, le risque de glissement dans le chaos sur la grande Ile est encore possible.
Démission du président Rajoelina
Les protestations qui ont essaimé dans le pays, d’abord déclenchées par les pénuries d’eau et d’électricité, sont le fruit d’un mouvement important de la jeunesse — baptisé Gen Z Madagascar — qui exigeait une refonte complète du système politique dans le pays et la démission du président.
Une partie de ces jeunes avait pourtant soutenu la réélection de Rajoelina en 2023. Madagascar est toujours un des dix pays les plus pauvres du monde, et beaucoup d’espoirs avaient été mis dans la poursuite des chantiers engagés par le Président pour son second mandat.
Andry Rajoelina a été réélu dès le premier tour en novembre 2023, avec près de 59 % des suffrages, dans un scrutin marqué par un boycott massif de l’opposition et une participation historiquement faible.
Andry Rajoelina a été réélu dès le premier tour en novembre 2023, avec près de 59 % des suffrages, dans un scrutin marqué par un boycott massif de l’opposition et une participation historiquement faible.
Une victoire arithmétique mais politiquement fragile, qui n’a pas dissipé les soupçons de manipulation, ni apaisé la défiance d’une partie du pays. Depuis cette élection, la fragilité du pouvoir s’est muée en crise de légitimité. Les opposants n’ont jamais reconnu pleinement la validité du scrutin, et la base sociale du Président s’est progressivement effritée à mesure que les promesses d’électricité, d’eau et d’emploi restaient lettre morte.
Le quotidien qui coince : pauvreté, services publics, désillusion
Sur le terrain, la colère a des racines très concrètes. À Madagascar, moins d’un tiers de la population a accès à l’électricité. Dans les campagnes, les coupures d’électricité sont quotidiennes. L’eau courante reste un luxe, et les infrastructures de santé et d’éducation sont à bout de souffle.
Plus de sept Malgaches sur dix vivent sous le seuil de pauvreté, les écoles ferment faute de moyens et les hôpitaux manquent de tout. Le décalage entre les promesses présidentielles et la réalité du quotidien a creusé un fossé immense entre l’État et les citoyens.
Des membres de l’unité militaire malgache CAPSAT patrouillent à bord d’une camionnette, accueillis avec joie par les habitants réunis pour une cérémonie en hommage aux manifestants tués lors des manifestations antigouvernementales à Antananarivo, le 12 octobre 2025. (Luis TATO / AFP).
Plus de sept Malgaches sur dix vivent sous le seuil de pauvreté, les écoles ferment faute de moyens et les hôpitaux manquent de tout.
Dans les quartiers populaires d’Antananarivo, comme dans les provinces, les gens parlent désormais d’un « État fantôme », incapable d’assurer le minimum vital. Les grands projets de développement vantés par le régime (routes, barrages, électrification) ont souvent avorté ou profité à une élite restreinte. Une grande partie de l’île reste enclavée.
Octobre 2025 : la jeunesse dans la rue, l’armée divisée
Depuis fin septembre 2025, des milliers de jeunes manifestent dans les rues. Leurs slogans ont évolué : de « l’eau et de la lumière » à « Rajoelina dehors ».
Les revendications étaient désormais politiques : démission du président, dissolution des institutions, lutte contre la corruption. L’erreur de Rajoelina a été double. Tout d’abord, la répression a été brutale : plusieurs dizaines de morts selon les organisations internationales.
Les revendications étaient désormais politiques : démission du président, dissolution des institutions, lutte contre la corruption.
Pour tenter d’éteindre l’incendie, et c’est la seconde erreur, le Président a limogé son gouvernement et nommé un Premier ministre issu de l’armée, le général Ruphin Fortunat Zafisambo. Une décision censée restaurer l’ordre, mais perçue comme un aveu de faiblesse et une provocation pour les jeunes qui manifestaient pacifiquement jusque-là.
L’armée rejoint les jeunes dans les rues
Le pari s’est retourné contre lui : l’unité d’élite CAPSAT, jadis soutien de Rajoelina lors de sa prise de pouvoir en 2009, a rejoint les manifestants et exigé la démission du chef de l’État. Le général Pikulas, nommé chef d’état-major dans la confusion, symbolise ce basculement : l’armée elle-même se fissure. Ironie de l’histoire, la jeunesse qui avait jadis porté Rajoelina au pouvoir — le mouvement Tanora malaGasy Vonona, les « jeunes Malgaches déterminés » — est aujourd’hui celle qui demande son départ.
L’homme de la génération moderne, du renouveau et des promesses, est désormais perçu comme le visage d’un système bloqué. D’autant, que depuis plusieurs semaines, Rajoelina tâtait le terrain à l’idée de préparer une potentielle réélection en… 2028 !
Le président malgache, Andry Nirina Rajoelina, s’adresse à l’Assemblée générale des Nations unies le le 24 septembre 2025 à New York. (Leonardo MUNOZ / AFP).
Une fin annoncée ?
Depuis des mois,  le pouvoir politique est isolé, l’économie à l’arrêt, l’armée divisée, et la population à bout. Trois scénarios se dessinaient encore la semaine dernière face à la situation gravissime dans laquelle se trouve le pays.
On pensait en premier à un effondrement du régime si la contestation s’élargissait dans l’armée mais cela pourrait être canalisé. Avec l’appui de l’armée, certains pensaient à une transition négociée sous pression internationale pour éviter un nouveau putsch, mais selon certains médias, le Président serait en fuite. Si les revendications des jeunes étaient le départ de Rajoelina, cela semble donc déjà chose faite.  Peut-on craindre de la part de l’armée une tentative désespérée de reprise en main, au risque d’un bain de sang ?
Avec l’appui de l’armée, certains pensaient à une transition négociée sous pression internationale pour éviter un nouveau putsch, mais selon certains médias, le Président serait en fuite.
Pas sûr d’autant que l’armée s’est bien rangé du côté des manifestants ces derniers jours. Quoi qu’il advienne, le sort du jeune Président moderne, chic, et entrepreneur déterminé, semble scellé : celui d’un président arrivé au pouvoir par la rue, rattrapé seize ans plus tard par la même rue. Andry Rajoelina, l’enfant prodige d’une jeunesse qui voulait tout changer et s’identifiait en lui, vient d’être emporté par cette même génération, celle qui ne croyait plus à ses promesses ni à la politique d’hier. Comme dans tant de pays actuellement, qui voient leur mouvements Gen Z défier l’ordre ancien et les vieilles élites politiques.
Sébastien BOUSSOIS
Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe géopolitique relations internationales, directeur de l’Institut Géopolitique Europeen (IGE), associé au CNAM-Paris (Equipe Sécurité Défense), à l’Observatoire Géostratégique de Genève (Suisse). Consultant médias et chroniqueur.
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Source: LPOST

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