Crise de régime : sans gouvernement après la démission surprise de Sébastien Lecornu, la France est au milieu du gué
C’est la surprise à laquelle personne ne s’attendait ce matin. À peine quinze heures après la nomination de son gouvernement, le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu a remis, lundi 6 octobre 2025, sa démission au Président de la République, Emmanuel Macron, qui l’a acceptée. Alors qu’il s’agit sans doute d’une des crises institutionnelles les plus graves sous la Ve République, la question se pose : comment en est-on arrivé là, et surtout, quelles sont désormais les solutions qui s’offrent au président ? ANALYSE.
Ce lundi matin, deux communications s’affrontaient sur la chute éclair d’un gouvernement qui aura duré un peu plus de 14 heures, soit le plus court de l’histoire française.
Manœuvres politiques et lignes rouges
Devant la presse, Lecornu a expliqué ne plus pouvoir « faire correctement [son] travail de Premier ministre », après trois semaines de négociations intenses avec les partis d’opposition et les syndicats.
Celui qu’on présentait comme un fin négociateur a dénoncé des manœuvres politiques « en vue des présidentielles de 2027 », une constitution du gouvernement « loin d’avoir été fluide », et un dialogue de sourds avec des formations politiques campées sur leurs « lignes rouges ».
Sébastien Lecornu, qui avait pourtant promis un gouvernement de compromis, semblait amer.
Lecornu, qui avait pourtant promis un gouvernement de compromis, semblait amer : il regrettait que sa main tendue — notamment sa décision de renoncer à l’article 49.3 pour faire passer les textes de loi — n’ait pas été « reconnue à sa juste valeur ». Il a conclu sur une note d’optimisme fragile, affirmant qu’« il en faut peu pour arriver à un compromis ».
Sabotage interne
Mais une autre version circulait déjà dans les couloirs du pouvoir : celle d’un sabotage interne. Selon plusieurs sources, c’est Bruno Retailleau, figure de la droite ralliée au gouvernement Bayrou, qui aurait fait tomber le château de cartes.
Ce dernier aurait menacé de démissionner après la reconduction surprise de Bruno Le Maire au ministère des Armées, un choix décidé sans son aval.
Selon plusieurs sources, c’est Bruno Retailleau, figure de la droite ralliée au gouvernement Bayrou, qui aurait fait tomber le château de cartes.
Dimanche soir, l’actuel ministre de l’Intérieur démissionnaire, Bruno Retailleau, a allumé la mèche sur X (ex-Twitter) dans un message lapidaire, dénonçant une « rupture de la confiance » avec Sébastien Lecornu et « le reniement du renouveau promis ». Dans les faits, treize anciens ministres du gouvernement Bayrou avaient été reconduits dans l’équipe Lecornu, mettant à mal la promesse de changement.
Pour beaucoup, cette crise n’est que le symptôme d’un épuisement de la majorité présidentielle et de la lassitude des Républicains, fatigués de s’effacer derrière le macronisme. Le retrait de Bruno Le Maire, annoncé dans la journée de lundi, n’aura pas suffi à calmer la droite, désormais prête à assumer la rupture, quitte à provoquer un nouvel effondrement institutionnel.
Ancienne candidate écologiste, Charlotte Minvielle, plaide pour la mise en place d’une 6ème République. (JULIEN DE ROSA / AFP).
Après la surprise, quelles solutions pour Emmanuel Macron ?
Alors que le Président de la République, Emmanuel Macron, a choisi de ne pas s’exprimer publiquement, la journée a été marquée par les spéculations. Que reste-t-il désormais à Emmanuel Macron ?
Trois voies se dessinent :
1. une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale,
2. la nomination d’un Premier pu d’une Première ministre de gauche,
3. ou, hypothèse plus extrême, la démission du président.
La nomination d’un Premier ministre de gauche : pari risqué ou sortie de crise ?
Alors que les Premiers ministres « macroniens » se sont succédé depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en 2024, la gauche, regroupée à l’époque sous la bannière du Nouveau Front Populaire (NFP), continue de revendiquer Matignon.
Lors des législatives de 2024, le NFP avait remporté le plus grand nombre de sièges, sans obtenir la majorité absolue, mais assez pour constituer la première force d’opposition.
Emmanuel Macron avait pourtant préféré nommer successivement trois Premiers ministres issus du centre droit ou de la droite, ignorant les demandes de la gauche qui l’accusait déjà d’« illégitimité démocratique ».
Désormais, le contexte a changé. Une nomination tardive mais symbolique d’un Premier ministre de gauche pourrait apaiser les tensions et redonner une respiration à la Ve République.
Ce ne sera peut-être pas tout le programme du NFP, mais il faut qu’on se mette d’accord sur une dizaine de mesures clés pour améliorer la vie des Français.
Pour Charlotte Minvielle, ancienne candidate écologiste du NFP pour les Français de l’étranger, cette option est la plus légitime. « Chez les écologistes, on veut absolument qu’on réussisse à faire une union de la gauche, la plus large possible. Macron doit respecter les urnes et nommer un·e Premier·e ministre de gauche. C’est à la gauche de gouverner maintenant », nous a-t-elle confié.
Mais la route est étroite. Les divisions persistent entre la France insoumise et le Parti socialiste, certains préférant une union sans LFI. Pour Minvielle, il faudra trouver un terrain d’entente pragmatique. « Ce ne sera peut-être pas tout le programme du NFP, mais il faut qu’on se mette d’accord sur une dizaine de mesures clés pour améliorer la vie des Français », poursuit-elle.
Une approche qui, si elle réussit, pourrait forcer Macron à composer avec une majorité d’opposition. Il s’agit d’un scénario inédit mais conforme à l’esprit parlementaire que beaucoup appellent de leurs vœux.
La présidente du groupe parlementaire du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, quitte le siège du parti après une réunion à Paris, le 6 octobre 2025. (Thomas SAMSON / AFP).
Une nouvelle dissolution : un risque d’effet boomerang
L’autre issue possible serait une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale, désormais possible constitutionnellement depuis l’été.
Certains responsables, à droite comme à gauche, y voient une solution de clarification politique. Mais une dissolution aujourd’hui pourrait s’avérer explosive.
Les sondages placent le Rassemblement national largement en tête des intentions de vote, et l’idée d’un Jordan Bardella à Matignon n’a jamais semblé aussi probable.
On doit faire front commun et avoir à nouveau un barrage républicain pour empêcher Jordan Bardella d’arriver à Matignon.
Charlotte Minvielle met en garde contre un tel scénario. « La menace du RN est toujours aussi grande. On doit faire front commun et avoir à nouveau un barrage républicain pour empêcher Jordan Bardella d’arriver à Matignon », plaide l’ancienne candidate écologiste.
Pour elle, la gauche doit se préparer à une nouvelle bataille électorale, « de la France insoumise au Parti socialiste », afin d’empêcher l’extrême droite de transformer cette crise en tremplin.
Une dissolution mal maîtrisée pourrait donc non seulement échouer à stabiliser le pays, mais plonger la République dans une crise encore plus profonde.
Et si Emmanuel Macron démissionnait ?
Si cette hypothèse reste la moins probable, elle circule dans les cercles politiques.
Une démission du président marquerait un tournant historique, peut-être la fin de la Ve République telle qu’on la connaît.
Il faut sortir de la Ve République et aller vers une VIe, avec un vrai système parlementaire, pas un régime où tout dépend du bon vouloir du président.
Charlotte Minvielle y voit une occasion de repenser le système plutôt qu’une catastrophe institutionnelle. « La crise dans laquelle on est doit vraiment nous faire réfléchir à changer nos institutions. Il faut sortir de la Ve République et aller vers une VIe, avec un vrai système parlementaire, pas un régime où tout dépend du bon vouloir du président », défend-t-elle.
Pour beaucoup, la Ve République est devenue trop rigide pour un paysage politique aussi morcelé. La démission d’Emmanuel Macron, aussi improbable soit-elle, ouvrirait la voie à un débat de fond sur la refonte démocratique du pays.
Ancien lieutenant d’Emmanuel Macron et aujourd’hui président du parti présidentiel, Renaissance, l’ancien Premier ministre, Gabriel attal (à gauche sur la photo), dit ne plus comprendre son ancien mentor, Emmanuel Macron (à droite sur la photo). (Fabrice COFFRINI / AFP).
48 heures de répit ?
À l’heure où nous écrivons ces lignes, Emmanuel Macron n’a toujours pas pris la parole.
L’Élysée a cependant annoncé que Sébastien Lecornu, désormais Premier ministre démissionnaire, reste en charge des affaires courantes. Il lui est accordé de 48 heures pour mener d’ultimes négociations.
« Je dirai au chef de l’État mercredi soir si cela est possible ou non, pour qu’il puisse en tirer toutes les conclusions », a déclaré le nouveau Premier ministre démissionnaire sur X.
Je dirai au chef de l’État mercredi soir si cela est possible ou non, pour qu’il puisse en tirer toutes les conclusions.
En cas d’échec, le président « prendra ses responsabilités », selon l’entourage de l’Élysée.
Cette nouvelle crise, la plus violente depuis 1968, souligne la fragilité d’un système institutionnel à bout de souffle.
Entre un président retranché dans sa posture jupitérienne, une Assemblée fracturée, et une opposition éclatée entre colère et calculs, la Ve République montre aujourd’hui ses limites.
La France avance à vue, suspendue à la décision d’un président qui n’a plus de majorité, plus de Premier ministre, et peut-être bientôt, plus de Ve République.
L.J.
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Source: LPOST
