Un gouvernement de continuité sous tension : la méthode Lecornu à l’épreuve
Le nouveau Premier ministre français, Sébastien Lecornu, a levé le voile sur son nouveau gouvernement, ce soir dimanche 5 octobre, près d’un mois après sa nomination à Matignon. Derrière la lenteur apparente, une méthode : écouter, négocier, équilibrer, quitte à frustrer ceux qui espéraient un véritable renouvellement. Le résultat est un cabinet d’expérience, composé en grande partie de figures déjà connues, où la stabilité semble primer sur le souffle du changement. La nouvelle équipe voit le retour de Bruno Le Maire (qui avait annoncé qu’il ne retournerait plus dans un gouvernement) et d’Eric Woerth, fraîchement relaxé par la justice dans l’affaire Sarkozy-Kadhafi.
Une genèse faite de concertations prudentes
Depuis sa nomination, Sébastien Lecornu a mené un marathon politique discret. Il a reçu tour à tour les chefs de parti, les présidents de groupes parlementaires et les représentants syndicaux pour sonder leurs lignes rouges et leurs marges de compromis. Ces consultations — du Rassemblement national au Parti socialiste, en passant par les écologistes et les communistes — visaient un seul objectif : éviter l’écueil d’une motion de censure immédiate.
Ces entretiens ont permis au nouveau Premier ministre de cartographier le terrain politique avant toute annonce. L’objectif était clair : bâtir un « socle commun », un équilibre fragile entre stabilité institutionnelle et ouverture symbolique. Lecornu sait que son gouvernement ne dispose d’aucune majorité confortable ; sa survie dépendra donc de sa capacité à fédérer ponctuellement.
Bruno Le Maire fait un retour remarqué dans l’exécutif français. (Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP).
Les grands équilibres du nouveau gouvernement
Le casting, dévoilé ce dimanche, confirme cette stratégie de continuité. La plupart des grands ministères restent entre des mains familières :
Bruno Le Maire, pilier de Bercy (ministère de l’Economie), il a quitté le Gouvernement français en septembre 2024 pour aller les politiques publiques et la géopolitique à l’Université de Lausanne en Suisse. Il est de retour, cette fois avec un portefeuille totalement différent (Armées et Anciens combattants) avec rang de ministre d’Etat.
Élisabeth Borne, également ministre d’Etat, elle reste ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, poste sensible qu’elle connaît bien.
Bruno Retailleau reste au ministère de l’Intérieur, gage d’une ligne sécuritaire sans surprise, avec également rang de ministre d’Etat.
Gérald Darmanin demeure Garde des Sceaux, rôle qui consolide son influence sur les dossiers judiciaires et institutionnels. Il a aussi rang de ministre d’Etat.
Manuel Valls, garde son portefeuille des Outre-Mer avec rang de ministre d’Etat.
Agnès Pannier-Runacher conserve la Transition écologique, assurant une continuité technique sur les dossiers énergie et climat.
Roland Lescure, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et énergétique
Rachida Dati garde la Culture, confirmant qu’aucun virage politique majeur n’est attendu dans ce secteur.
Catherine Vautrin reste à la tête du ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités, au cœur des enjeux sociaux.
Éric Woerth, fraîchement relaxé dans l’affaire Sarkozy-Kadhafi (complicité de financement illégal de campagne électorale), il hérite du portefeuille de l’Aménagement des territoires, de la Décentralisation et du Logement.
Annie Genevard, issue de la droite modérée, est nommée ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire ; un signal à destination du monde rural.
Naïma Moutchou prend en charge la Transformation publique et le Numérique, symbole d’un léger renouvellement générationnel.
Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Amélie de Montchalin, garde son poste de ministre des comptes publics
Philippe Tabarot (Transports) et Marina Ferrari (Sports, Jeunesse et Vie associative) complètent la liste.
Côté ministres délégués, Aurore Bergé (Égalité femmes-hommes et porte-parole) et Mathieu Lefèvre (Relations avec le Parlement) ferment la marche.
La députée Naima Moutchou apparaît comme le seul vrai visage neuf du gouvernement du Premier ministre Sébastien Lecornu. (Bertrand GUAY / AFP).
Treize membres du gouvernement précédent conservent ainsi leur portefeuille ou un périmètre similaire. Le choix est assumé : privilégier la stabilité à tout prix. Lecornu, dans son entourage, parle d’une « équipe prête à gouverner dès demain ».
Mais cette constance a un revers : elle donne à l’exécutif l’image d’un recyclage politique, d’un gouvernement d’habitude plus que de projet.
Les premières réactions : scepticisme et prudence calculée
Sur les réseaux, les réactions ne se sont pas fait attendre. Sur X (ex-Twitter), Jordan Bardella a dénoncé un « gouvernement des mêmes, sans souffle ni vision ». À gauche, Olivier Faure a prévenu que « la censure est déjà sur la table si rien ne change sur le pouvoir d’achat ». Marine Tondelier, pour les écologistes, s’est dite « consternée par la reconduction de ministres responsables de l’immobilisme climatique ».
Même au sein de la droite, le ton est mesuré : Éric Ciotti évoque une « main tendue prudente mais pas d’alliance à l’aveugle ». Les Républicains laissent planer le doute sur un soutien ponctuel, tout en ménageant leur liberté de vote.
Du côté des syndicats, le constat est identique : dialogue oui, confiance non. Ils attendent des gestes concrets, notamment sur la revalorisation salariale et les services publics. Le spectre d’une rentrée sociale sous tension n’est pas écarté.
Une stratégie de gouvernance sous contrainte
Lecornu hérite d’un Parlement fragmenté et d’une opinion publique épuisée. Sa marge de manœuvre est étroite : sans majorité solide, il devra gouverner à la carte, texte par texte, appui par appui.
Cette méthode, déjà éprouvée sous Borne, est une course d’endurance. Chaque réforme nécessitera une négociation sur mesure — avec le PS, certains écologistes, voire des députés de droite — pour éviter la paralysie. C’est une gouvernance de funambule, faite d’équilibres instables et de compromis temporaires.
Récemment relaxé par la Justice dans l’affaire Sarkozy-Kadhafi, Eric Woerth hérite d’un portefeuille mùinistériel dans le nouveau gouvernement français. (Bertrand GUAY / AFP).
Mais Lecornu sait aussi qu’il ne pourra pas se contenter d’une gestion comptable. Pour espérer durer, il lui faudra incarner autre chose : un cap, une impulsion. Autour de lui, plusieurs scénarios circulent.
Certains plaident pour un geste fort, un choc symbolique sur le pouvoir d’achat ou la fiscalité, pour redonner du souffle politique et couper l’herbe sous le pied des oppositions. D’autres, plus prudents, misent sur la continuité : consolider la stabilité économique avant toute prise de risque. Enfin, quelques proches défendent l’idée d’un remaniement plus rapide qu’annoncé, si l’équilibre parlementaire venait à se dérober.
L’après : un gouvernement sous menace permanente
À peine nommé, le gouvernement Lecornu vit déjà sous la menace de la censure. Plusieurs groupes — de la NUPES au RN — ont annoncé qu’ils examineront toute motion selon le contenu du discours de politique générale. Le risque d’un front commun anti-gouvernement n’est pas exclu.
Secrétaire nationale des Ecologistes, Marine Tondelier fustige le nouveau gouvernement français. (Bertrand GUAY / AFP).
C’est un gouvernement qui cherche le calme, mais dans une tempête qui n’écoute plus.
La promesse de dialogue affichée par Lecornu suffira-t-elle à calmer le jeu ? Rien n’est moins sûr. Dans les couloirs de l’Assemblée, certains députés résument la situation d’une phrase : « C’est un gouvernement qui cherche le calme, mais dans une tempête qui n’écoute plus ».
Alors que la plupart des partis d’opposition parlent déjà de censure, une question s’impose : quelle stratégie Lecornu adoptera-t-il pour durer ? Choisira-t-il la négociation patiente ou une rupture nette pour imposer un cap ? Dans un paysage politique fracturé, ce gouvernement, fait pour tenir, devra prouver qu’il peut encore convaincre.
L.J.
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Source: LPOST