Paris : à la Fête de l’Huma se mélangent combats existentiels de la gauche et rendez-vous intergénérationnels


Paris : à la Fête de l’Huma se mélangent combats existentiels de la gauche et rendez-vous intergénérationnels
En septembre, depuis 90 ans, la Fête de l’Humanité revient comme un rituel de rentrée politique et culturelle, où se croisent pendant 3 jours (du 12 au 14 septembre) syndicats, associations, collectifs, partis politiques, mais aussi artistes et publics venus assister à des débats, concerts, projections et spectacles. Rendez-vous incontournable pour la gauche française, la fête n’échappe pas aux critiques : blanchité, validisme, surreprésentation masculine. Autant de travers que l’on retrouve ailleurs dans la société française. Sur fond de tensions entre les différentes sensibilités de gauche et face à un gouvernement de droite fortement contesté, la balance de la parité n’est pas encore atteinte. La Fête de l’Huma a également des accents belges…
Au fil des années, l’événement essaye d’ajuster sa programmation, et d’encourager la présence plus visible de femmes dans les tables rondes, en multipliant notamment les débats sur le féminisme, l’antiracisme ou encore les discriminations, grâce notamment à la présence de stands indépendants qui font la part belle à ces sujets.
Les féministes en première ligne
Il est en effet impossible de nier l’importance des femmes dans l’action politique et militante. Sarah Durocher, présidente du Planning familial – association féministe d’éducation populaire qui fait du plaidoyer sur les droits sexuels et reproductifs en France, mais également membre de la RTBF au niveau international – rappelle que l’objectif est de « créer des solidarités, que ce soit en Europe et dans le monde ».
Face à la montée des conservatismes et contre l’extrême droite, la présidente du Planning confirme qu’il est impensable de ne pas compter sur les féministes.
Face à la montée des conservatismes et contre l’extrême droite, la présidente du Planning confirme qu’il est impensable de ne pas compter sur les féministes : « (…) qui ont toujours été devant les révolutions, devant les manifestations et les mobilisations (…) parce qu’on sait que les femmes et les minorités de genre sont les premières victimes de l’extrême droite et du mouvement conservateur ».
La santé sexuelle au cœur des préoccupations
La santé sexuelle est au cœur des préoccupations des femmes à travers le monde. Le Planning familial a récemment monté une opération de solidarité pour soutenir les Polonaises qui mènent un combat pour l’avortement, en fournissant des médicaments et des pilules abortives, et en aidant des militantes et activistes féministes qui se battent au quotidien.
Ces jeunes femmes ont participé à la création d’un livre d’éducation sexuelle rédigé en écriture inclusive et se réjouissent de le voir sur le stand.
Comme pour illustrer le propos de Sarah Durocher, on croise Amel, Laura, Lou-Anne et Anaïs, sages-femmes de profession, réunies au stand du collectif féministe intersectionnel #NousToutes. Elles sont venues écouter la table ronde « Démocratiser la politique : représentation des femmes, des femmes racisées et minorités de genre » (avec entre autres la députée de Paris, Danièle Obono ; Sarah Bennani, présidente de Jeunesse populaire : Lauren Lolo, fondatrice de la Cité des Chances ; et Mama Doucouré, conseillère municipale déléguée aux droits des femmes).
Ces jeunes femmes ont participé à la création d’un livre d’éducation sexuelle rédigé en écriture inclusive et se réjouissent de le voir sur le stand. Elles déplorent toutes le manque de moyens pour exercer leur métier. Si certaines viennent pour la première fois à la manifestation, il est évident pour toutes qu’en tant que femmes, militer est une évidence. Se retrouver ici est une occasion d’apprendre sur les luttes partagées, afin de pouvoir être encore plus efficaces au quotidien.

bePress Photo Agency / KELLY LIN
La Fête de l’Huma se veut aussi un rendez-vous festif. (Photo Kelly Linsale bePress Photo Agency/bppa).
Un esprit collectif malgré les contraintes
L’envie de partager, de militer et de combattre dans un cadre bienveillant, loin des tensions du quotidien, semble être le mot d’ordre partagé par les artistes et les festivaliers. Malgré les changements de température, les longues files pour manger un morceau et la gadoue qui suit après les averses, l’ambiance reste cordiale. Les divergences n’entament pas la bonne humeur des participants qui, pour la majorité, sont inquiets de la situation politique française et internationale, mais comptent bien utiliser ce genre d’événement pour faire entendre leur opinion et rêver à des solutions.
Malgré les changements de température, les longues files pour manger un morceau et la gadoue qui suit après les averses, l’ambiance reste cordiale.
On croise beaucoup de sourires et l’on entend beaucoup de « pardon », « pas de problème », « t’inquiète » quand les gens se heurtent dans la cohue des allées menant à des stands parfois exigus. Le stand de La France insoumise (LFI) est pris d’assaut lors de la venue de Jean-Luc Mélenchon, et un embouteillage massif se forme dans l’allée qui mène au stand où le leader du mouvement déroule un discours qui déclenche des ovations. Mais tout le monde reste zen malgré les trombes d’eau soudaines. Un arc-en-ciel apparaît aussitôt le déluge terminé.
Entre tribunes politiques et scènes engagées
La programmation est éclectique et engagée. Sur la scène Joséphine Baker, la chanteuse Mathilde appelle à la révolution (hourras de la foule). Une autre artiste relève que les drapeaux palestiniens sont partout, mais que le boycott des marques qui contribuent au soutien d’Israël n’est pas appliqué à la Fête : les canettes de Coca-Cola sont en vente partout, y compris dans les loges des musiciens.
Il est possible de rejeter le cynisme du capitalisme, il est possible, ensemble comme son nom l’indique, de faire humanité.
L’actrice, chanteuse et auteure, Nadège Beausson-Diagne, dont le spectacle « Mon corps est une révolution » affiche complet, est ovationnée. Elle rend hommage à sa grand-mère, qui distribuait L’Humanité Dimanche. Lors des saluts, elle lance à la foule : « il est possible de rejeter le cynisme du capitalisme, il est possible, ensemble comme son nom l’indique, de faire humanité ».

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La Fête de l’Humanité est le rende-vous incontournable des revendications diverses. (Photo Kelly Linsale bePress Photo Agency/bppa).
Découvertes, débats et engagements multiples
Dans une des allées, une militante de la Ligue des droits de l’homme distribue des flyers « Nos droits en manifestation ». Elle rappelle que les forces de police françaises sont connues pour leurs représailles musclées depuis le Gouvernement Sarkozy, et qu’elles ont été encouragées à multiplier les démonstrations de force après la publication d’une directive du ministère de l’Intérieur visant à interdire les journalistes en manifestation la semaine dernière. Cette militante, qui souhaite rester anonyme, évoque la difficulté de son métier : elle accompagne des jeunes migrants en situation de précarité. « Au quotidien, les gens ne comprennent pas ces ‘assistés’, la rancœur envers les étrangers monte », déplore-t-elle.
Au quotidien, les gens ne comprennent pas ces ‘assistés’, la rancœur envers les étrangers monte.
Vincent, 23 ans, soignant et militant au Parti communiste révolutionnaire, vit en région parisienne et vient depuis plusieurs années à la Fête de l’Huma. Il voit la fête comme « un bon endroit pour les jeunes encore incertains dans leur démarche politique et militante de découvrir des organisations, se forger une opinion, préciser leurs envies et parfois amorcer un premier engagement militant ».
Un espace d’expression pour les organisations de gauche
Nathalie Arthaud confirme cette opportunité de découvrir le champ des possibles. « C’est ça aussi le charme de la Fête de l’Huma, c’est de donner la parole à différentes organisations, y compris des organisations d’extrême gauche, qui ne se placent pas dans cette démarche d’aller conquérir le gouvernement en faisant l’unité des partis de gauche, mais qui sont aussi des organisations communistes révolutionnaires. Au stand de Lutte ouvrière, on discute beaucoup des perspectives communistes, des perspectives révolutionnaires (…) de la faillite du capitalisme qui nous mène aux crises, qui nous mènent aux guerres », dit-elle.
C’est ça aussi le charme de la Fête de l’Huma, c’est de donner la parole à différentes organisations, y compris des organisations d’extrême gauche.
Pour Eva, en pleine préparation de repas avec ses camarades au stand de la Cellule de mobilisation parisienne pour Kanaky, tenir un stand est l’occasion de « souffler, montrer une autre partie du militantisme sur la question indépendantiste en Polynésie, mettre en lumière l’influence coloniale et impérialiste que la France continue d’imposer à Kanaky, et d’expliquer aux gens l’histoire du drapeau kanak ».
Une fête populaire et intergénérationnelle
Comme une tradition météorologique incompressible des festivals en septembre, il se remet à pleuvoir en fin de journée, lors du show d’Eddy de Pretto. Il enchaîne ses tubes sur un set ultra maîtrisé et ne manque pas de rappeler aux foules que, quoi qu’il arrive, voter Front national n’est jamais la solution.
Dans la foule qui s’agglutine pour voir les têtes d’affiche, on croise Ellen, venue du Mans pour l’occasion, et Fatima, de Montreuil, prêtes à clore la soirée avec le concert de Patti Smith. En amie fidèle, Fatima a abandonné le concert de Fianso pour tenir compagnie à son amie (elle tient à préciser que si le chanteur est célibataire, il peut joindre la rédaction pour la rencontrer).
Des retrouvailles générationnelles
Fatima, qui fréquente sans faute la Fête de l’Huma depuis 2009, ne manque jamais de passer au village international. « Je suis marocaine et donc on a eu beaucoup à subir dans le monde les nationalismes arabes, la montée des nationalismes arabes », relève-t-elle.
Elle ressent toujours beaucoup d’émotion en allant voir « des stands avec des vieux militants du monde arabe qui se prennent dans les bras parce qu’ils ne savent pas déjà s’ils se reverront l’année prochaine, à cause de leur âge ou parce qu’ils seront emprisonnés (…) s’ils vont finir croupir en prison parce qu’ils luttent dans leur pays ».
Toutes les deux se revendiquent de gauche et féministes. Ellen, rousseauiste convaincue, est venue écouter les « copines politiques féministes, antifascistes qui sont quasi les premières à se battre sur la résistance qu’il faut entamer ». Les deux femmes s’accordent à dire que la lutte est difficile et qu’un peu de joie militante lors de ces trois jours permet de redonner du baume au cœur et de reprendre des forces pour la rentrée.
La Fête de l’Huma se déclinent des revendications diverses. Crédit : Clara Euler.
Rencontrer de nouvelles personnes
Lui aussi près de la scène Angela Davis, Mamadou Samb, accompagnant d’élèves en difficulté, souligne que la Fête est un repère chronologique et l’occasion de rencontrer de nouvelles personnes chaque année pour discuter et écouter des débats.
Plus particulièrement cette année, dans une situation politique si tendue, il se réjouit de pouvoir partager un moment de musique qui lui tient à cœur avec ses amis.
Plus particulièrement cette année, dans une situation politique si tendue, il se réjouit de pouvoir partager un moment de musique qui lui tient à cœur avec ses amis. Chaque année, il épluche ensemble la programmation, et Youssou N’Dour, Sénégalais comme lui, et Patti Smith sont sur la liste des artistes à ne pas manquer.
Non loin de la sortie, François, 73 ans, fidèle de la Fête et également amateur de la « très belle fête du PTB de nos amis belges », note que la composition des stands de la Fête de l’Humanité ne cesse d’évoluer. Il se réjouit de « ce mélange : c’est une sorte de grande cuisine, un lieu de rencontre intergénérationnel et c’est magnifique ».
Mélange intergénérationnel
Sur la piste de danse du stand PCF Mitry-Mory/Villeparisis Compans, qui arbore une banderole « Pain, Paix, Liberté », les participants envahissent le dancefloor. Des enfants se dandinent avec leurs parents, visiblement contents de pouvoir s’amuser, sous le regard amusé des plus âgés, assis sur des bancs, mais aussi de jeunes adultes, très divertis par les chorégraphies hasardeuses de leurs aînés.
Lorsque Patti Smith et ses acolytes lancent le show avec le mythique tube « Power to the People », la ferveur qui parcourt la foule confirme que la 90ᵉ édition de la Fête de l’Huma est la réunion de rentrée.
Et si la pluie ne cesse de tomber jusqu’au bout de la nuit, la foule connaît la musique : k-way, sac-poubelle ou parapluie, tout est bon pour continuer à faire la fête. Lorsque Patti Smith et ses acolytes lancent le show avec le mythique tube « Power to the People », la ferveur qui parcourt la foule confirme que la 90ᵉ édition de la Fête de l’Huma est la réunion de rentrée qui nourrit les militants français dans leur envie de révolution sociale et culturelle.
Clara Eurler (à Paris)
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Source: LPOST

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