« Bloquons Tout » : une journée de mobilisation pour exprimer la colère diffuse et sous surveillance
Ce 10 septembre 2025, la place de la République s’est réveillée encerclée de fourgons de CRS. Entre les banderoles syndicales et les pancartes bricolées par des étudiants, la journée s’annonçait tendue mais déterminée. À l’échelle du pays, 100.000 manifestants étaient attendus. Pour y faire face, le gouvernement avait mobilisé 80.000 forces de l’ordre. Mais le pays n’a pas été bloqué comme redouté. Récit.
Des voix de terrain
« Aujourd’hui on doit choisir entre payer son loyer et se nourrir », raconte Sammy Hassan, postier et secrétaire syndical CGT pour le département de Seine-et-Marne. Il veut par sa présence représenter la fonction publique et dénoncer « une précarité qui ne porte pas de nom ». « On a de plus en plus de travail avec de moins en moins de salariés. Le CAC 40, c’est bien mais ce sont les salariés qui produisent la richesse. Les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres », poursuit-il.
Même constat chez Fabien Milin, douanier et co-secrétaire du syndicat Solidaires Douane : « En 40 ans, nous avons perdu un tiers de nos effectifs, alors que le volume des marchandises a été multiplié par dix. Résultat : on ne peut plus contrôler qu’une marchandise sur 10 000 », observe-t-il. Il dénonce « la casse de l’appareil productif » et « le démantèlement de l’État providence ».
En 40 ans, nous avons perdu un tiers de nos effectifs, alors que le volume des marchandises a été multiplié par dix.
Il ajoute que les rares embauches dans son secteur « sont des postes de cadres supérieurs, de chargés de missions qui travaillent pour des cabinets de conseil au détriment de l’intérêt de la nation ». Il explique aussi pourquoi il voit le service public à long terme, faisant écho aux propositions d’économies du budget Bayrou. Il explique que pour la profession de douanier par exemple, tripler les effectifs coûterait 5 milliards à l’État mais permettrait d’en rapporter « 20 à 25 milliards » en recettes fiscales.
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A peine nommé, le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu est décrié par les manifestants du 10 septembre 2025. (Photo Kelly Linsale / bePress Photo Agency/bppa.be).
La jeunesse en première ligne
La manifestation a aussi pris des allures de mobilisation lycéenne et étudiante. Dès le matin, plusieurs établissements parisiens étaient bloqués. Victoria, 15 ans, explique : « Pas mal d’entre nous se sont fait arrêter en chemin par des CRS. Mais nous sommes là pour défendre des causes qui nous tiennent à cœur. On est la jeunesse de France et on veut se battre pour une société plus juste ».
On est la jeunesse de France et on veut se battre pour une société plus juste.
Pour Mathilde, étudiante, cette journée est « un ras-le-bol général avec beaucoup de colère accumulée ». Elle met en avant la dimension féministe de son engagement : « Ce gouvernement fait partie des sphères d’hommes blancs qui agressent en toute impunité ».
Sa camarade Eva se dit moins optimiste : « Pour moi, cette journée, c’est pour inciter d’autres à se questionner et à en faire de même. Même si je ne sais pas si ça va marcher. C’est dur de rester optimiste face à la répression policière ».
Une journée encadrée avec 199 personnes arrêtées
Si certains espéraient un climat insurrectionnel, la journée est restée globalement calme. Pas de scènes comparables aux Gilets jaunes, même si les affrontements n’ont jamais été loin. À Paris, la place de la République est restée le point névralgique. 199 personnes ont été interpellées, dont 99 placées en garde à vue.
À Paris, la place de la République est restée le point névralgique. 199 personnes ont été interpellées, dont 99 placées en garde à vue.
L’ambiance oscillait entre détermination et méfiance. Les slogans s’enchaînaient – « Macron démission », « Justice sociale » –, portés par des mégaphones qui perçaient à peine le brouhaha. Des tambours improvisés rythmaient les cortèges, vite couverts par les annonces des forces de l’ordre.
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La colère des manifestants se lit sur les pancartes. (Photo Kelly Linsale / bePress Photo Agency/bppa.be).
Un calendrier politique délicat
La mobilisation a eu lieu le même jour que la passation de pouvoir entre le Premier ministre démissionnaire, François Bayrou, et son successeur Sébastien Lecornu.
Emmanuel Macron espérait peut-être que du sang neuf à Matignon allait apaiser la colère sociale mais elle n’a fait que l’attiser, puisque comme le résume le douanier syndicaliste il y a le sentiment « que ce sont les nominations des mêmes par les mêmes ».
Convergences fragiles
De nombreux manifestants insistaient sur la notion de convergence. Syndicalistes, étudiants, fonctionnaires et citoyens sans étiquette partageaient le sentiment d’un pouvoir sourd à leurs revendications. Certains mettaient en avant la dégradation des services publics, d’autres l’urgence climatique, d’autres encore l’injustice sociale.
Ce 10 septembre n’a pas tout bloqué, mais il a permis à des colères éparses de s’exprimer côte à côte.
Ce 10 septembre n’a pas tout bloqué, mais il a permis à des colères éparses de s’exprimer côte à côte. Alors que la foule se disperse sous la surveillance des CRS, une impression reste : celle d’une société qui, malgré la lassitude et la répression, refuse de se résigner.
Lena Job & Clara Euler (à Paris)
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Source: LPOST