Le style Armani : un mode d’être plus qu’être à la mode


Le style Armani : un mode d’être plus qu’être à la mode
BELGA/AFPIl fut, par la perfection de ses coupes vestimentaires, reconnaissables entre toutes, l’incarnation, par excellence, de la mode, mais aussi de la culture, italiennes en leur plus haute et noble expression. L’excellence, ce savant dosage d’élégance formelle, de pureté linéaire et d’audace stylistique ! Le paradoxe existentiel a pourtant, encore une fois, frappé, en ce fatidique 4 septembre 2025, aux cieux éternels de l’Art : Giorgio Armani, incomparable étoile du chic intemporel, s’est en effet éteint, à l’âge de 91 ans, à Milan.
Milan, de Stendhal à Armani
Armani, par ailleurs, ressemblait étrangement, par bien des aspects, à Milan, capitale lombarde que cet immense écrivain que fut Stendhal, immortel auteur d’un roman aussi célébré que « Le Rouge et le Noir », aimait, par son classicisme géométrique comme par sa structure architecturale (harmonieuse synthèse de raffinement français et de rigueur austro-hongroise), par-dessus toute autre ville, au point qu’il demanda que fût gravé en guise d’épitaphe sur sa pierre tombale dans le cimetière parisien de Montmartre : « Arrigo Beyle, milanese » (« Henri Beyle – c’était son vrai nom – milanais ») !
Ainsi le style Armani est-ce bien plus, pour qui sait l’analyser en profondeur, qu’une simple, quoique certes très appréciée, question de « mode », avec ce que ce terme implique fatalement, sur un plan plus strictement temporel, quant à son côté éphémère et donc, peut-être, mineur. Au contraire : bien plus qu’« être à la mode », le style Armani, parangon majeur de l’esthétique dandy, c’est avant tout, inversant ici l’équation sémantique, un « mode d’être » !
L’esthétique dandy
C’est d’ailleurs là ce qu’établit en 1845 déjà, dans son insigne « Du dandysme et de George Brummell », Jules Barbey d’Aurevilly lorsqu’il brosse, dans ce qui peut être légitimement considéré comme la première théorie du dandysme, le portrait de Lord Brummell précisément, que ses contemporains désignaient volontiers, à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, sous l’évocateur et double qualificatif de « prince des dandys » et « arbitre des élégances ».
De fait, y écrit, dans sa définition du dandysme, Barbey, en guise de préambule à son prestigieux tableau : « Il fut le Dandysme même. Ceci est presque aussi difficile à décrire qu’à définir.  Les esprits qui ne voient les choses que par leur plus petit côté, ont imaginé que le Dandysme était surtout l’art de la mise, une heureuse et audacieuse dictature en fait de toilette et d’élégance extérieure. Très certainement c’est cela aussi ; mais c’est bien davantage. Le Dandysme est toute une manière d’être, et l’on n’est pas que par le côté matériellement visible. C’est une manière d’être, entièrement composée de nuances (…) »
Baudelaire ne dit pas, fondamentalement, autre chose lorsque, prolongeant cette réflexion de Barbey, il déclare dans l’emblématique chapitre IX, intitulé Le Dandy, de son magistral Peintre de la vie moderne, (« critique d’art » parue en 1863) : « Le dandysme, qui est une institution en dehors des lois, a des lois rigoureuses auxquelles sont strictement soumis tous ses sujets, quelles que soient d’ailleurs la fougue et l’indépendance de leur caractère. (…) Ces êtres n’ont pas d’autre état que de cultiver l’idée du beau dans leur personne (…) »
Distinction et singularité
Baudelaire, dans ce portrait de celui qu’il appelle le « parfait dandy », précise, tout en y peaufinant son tableau, en mettant cependant davantage ici l’accent sur la notion de « distinction » (dans la double acception du terme : « élégance » et « différence » au sens de se « distinguer » du commun des mortels) : « Le dandysme n’est même pas, comme beaucoup de personnes peu réfléchies paraissent le croire, un goût immodéré de la toilette et de l’élégance matérielle. Ces choses ne sont pour le parfait dandy qu’un symbole de la supériorité aristocratique de son esprit. Aussi, à ses yeux, épris avant tout de distinction, la perfection de la toilette consiste-t-elle dans la simplicité absolue, qui est, en effet, la meilleure manière de se distinguer. »
Et, de fait, c’était déjà là ce que, un peu plus de trente ans auparavant, avait prôné un de ses plus illustres contemporains en matière de littérature française, sinon universelle : Balzac dans son brillant Traité de la vie élégante, opus datant de 1830, lorsqu’il y proclame que « l’effet le plus essentiel de l’élégance est de cacher les moyens. »
Leçon d’élégance, celle-ci, qu’Armani avait en effet comprise et parfaitement intégrée, là encore, au sein de ses diverses créations, toutes en sobriété et magnificence à la fois !
Ainsi continue, à ce propos, Baudelaire dans cette superbe description du dandy idéal, y compris dans l’éloge de ce que l’on nomme ici l’« individualisme », notion connexe à l’une des autres prérogatives du dandysme, la singularité (à entendre, là encore, au double sens du terme : unique, par opposition au pluriel, et surprenant). « Qu’est-ce donc que cette passion qui, devenue doctrine, a fait des adeptes dominateurs, cette institution non écrite qui a formé une caste si hautaine ? C’est avant tout le besoin ardent de se faire une originalité, contenu dans les limites extérieures des convenances. » Du pur mais aussi très concret Armani, là aussi !
Ce mode d’être, où la pensée tout autant que l’existence, et la mise aussi bien que l’allure, se voient ainsi magnifiquement décrites, Baudelaire le développe encore dans ce même texte : « C’est bien là cette légèreté d’allures, cette certitude de manières, cette simplicité dans l’air de domination, cette façon de porter un habit (…), ces attitudes toujours calmes mais révélant la force (…) de ces êtres privilégiés en qui le joli et le redoutable se confondent si mystérieusement. », y spécifie-t-il.
Arbiter elegantiarum : l’arbitre des élégances
Mais, de tous les grands dandys historiques, c’est sans aucun doute Oscar Wilde qui a le mieux circonscrit ce « mode d’être », dont il met en exergue, de façon admirable, la primauté, au détriment d’une trop superficielle mode à suivre, dénuée de tout esprit critique, voire de réelle exigence artistique, sans même parler, à l’inverse du style Armani à nouveau, de ses éventuelles carences en matière de canons esthétiques
Ainsi, insistant là sur l’un des traits psychologiques les plus saillants de son jeune et beau héros, écrit-il dans Le Portrait de Dorian Gray (1890) : « La mode, qui confère à ce qui est en réalité une fantaisie une valeur provisoirement universelle, et le dandysme qui, à sa façon, tente d’affirmer la modernité absolue de la beauté, le fascinaient. Sa façon de s’habiller et les styles particuliers qu’il affectait de temps à autre influaient fortement sur les jeunes élégants (…) ; ils copiaient tout ce qu’il faisait, et tentaient de reproduire le charme fortuit de ses gracieuses coquetteries de toilette (…).
Il désirait pourtant, au plus profond de son cœur, être plus qu’un simple arbiter elegantiarum qu’on consulterait sur la manière de porter un bijou, de nouer sa cravate ou de manier une canne. Il cherchait à inventer un nouveau système de vie qui reposât sur une philosophie raisonnée et des principes bien organisés, et qui trouvât dans la spiritualisation des sens son plus haut accomplissement. »
 Une esthétique de l’âme et du corps
Reste à savoir ce que Wilde entend dire au juste par cette expression de « spiritualisation des sens » !  La réponse, comme souvent chez ce maître en aphorismes, n’attend pas. De fait, s’en explique-t-il, tout en finesse et nuances : « Dorian Gray estimait que l’on n’avait jamais compris la vraie nature des sens, et qu’ils n’avaient conservé leur sauvagerie ou leur animalité que parce que le monde avait tenté de les soumettre (…), au lieu de viser à en faire les éléments d’une spiritualité nouvelle, qui aurait pour trait dominant un sens instinctif et subtil de la beauté. »
L’idéal dandy : faire de sa vie une œuvre d’art et de sa personne une œuvre d’art vivante
Dans le même ordre d’idées, cette autre et non moins opportune réflexion de Charles Baudelaire, extraite, elle aussi, de son Peintre de la vie moderne : « On voit que, par de certains côtés, le dandysme confine au spiritualisme (…) Mais un dandy ne peut jamais être un homme vulgaire. (…) Que le lecteur ne se scandalise pas de cette gravité dans le frivole (…) Etrange spiritualisme ! Pour ceux qui en sont à la fois les prêtres et les victimes, toutes les conditions matérielles compliquées auxquelles ils se soumettent, depuis la toilette irréprochable à toute heure du jour et de la nuit (…), ne sont qu’une gymnastique propre à fortifier la volonté et à discipliner l’âme. »
Ainsi, que le dandysme en tant que « mode d’être », à l’impeccable image du style Armani précisément, soit, en définitive, une esthétique de l’âme et du corps, c’est là ce qui apparaît clairement ici !
Mieux : s’il est vrai que le dandysme consiste à faire de sa vie une œuvre d’art, et de sa personne une œuvre d’art vivante, comme l’énonce encore Oscar Wilde en l’un des aphorismes les plus significatifs de ses brillantes Formules et maximes à l’usage des jeunes gens (« Il faut soit être une œuvre d’art, soit porter une œuvre d’art »), alors Giorgio Armani en représente effectivement le symbole le plus existentiel (vécu) et quintessentiel (pensé) à la fois. Pari gagné, pour l’éternité !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER
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Source: LPOST

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