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De la Manche à l’Atlantique : des migrants ballotés entre traversées, débats et tensions
Nigel Farage propose d’envoyer les demandeurs d’asile sur l’île de l’Ascension : plongée dans le débat britannique sur l’immigration. Le leader du parti d’extrême droite Reform UK, en tête dans les sondages, veut utiliser la question des migrants pour servir sa politique de déportation massive de ces derniers afin de les dissuader de mettre le cap sur le Royaume-Uni. Il propose un plan avec des mesures choc pour contrer le phénomène. En 10 ans, les demandes d’asile ont plus que quadruplé au Royaume-Uni. Reportage sur le front de mer à Douvres pour cerner la réalité des migrants et leurs espoirs.
Le vent frais de Douvres balaie le front de mer presque désert. Au loin, les falaises blanches se détachent sur un ciel gris. Ici, à seulement 35 km des côtes françaises, le Royaume-Uni observe le passage des migrants à travers la Manche, une scène devenue le terrain d’une bataille politique intense.
Nigel Farage, figure montante du parti Reform UK, y voit une opportunité pour son plan-choc : envoyer certains demandeurs d’asile sur l’île de l’Ascension, en plein océan Atlantique, loin du continent européen.
Douvres, le vent et la Manche : théâtre d’une bataille politique
Alors que les élections législatives britanniques approchent, Farage a intensifié le débat sur l’immigration avec des propositions radicales. Il promet la construction de centres de détention géants et des déportations massives, affirmant que cela mettra fin aux traversées de la Manche.
Nous avons une crise massive en Grande-Bretagne. Cela ne représente pas seulement une menace pour la sécurité nationale, mais cela conduit à une colère publique qui n’est franchement pas très éloignée du désordre.
Selon lui, la situation constitue une « crise massive » qui menace la sécurité nationale et pourrait provoquer des troubles sociaux. « Si les gens savent qu’ils seront détenus et expulsés, ils cesseront de venir très rapidement », a déclaré Farage au Times. « Nous avons une crise massive en Grande-Bretagne. Cela ne représente pas seulement une menace pour la sécurité nationale, mais cela conduit à une colère publique qui n’est franchement pas très éloignée du désordre ».
AFP
Le leader du parti d’extrême droite, Nigel Farage, propose un plan avec des mesures choc pour solutionner la question des migrants. (Photo par Oli SCARFF / AFP).
Des migrants économiques et principalement de jeunes hommes
Le front de mer de Douvres est presque vide lorsque je demande aux habitants leur avis sur les demandeurs d’asile. Certains estiment que la majorité sont des migrants économiques, d’autres dénoncent la présence de criminels.
On ne se fait pas d’amis ici. On ne peut faire confiance à personne.
À Calais, Salem, un jeune Yéménite, attend son tour pour un repas offert par la Cuisine Communautaire des Réfugiés. Cigarette à la main, il raconte son parcours à travers la France, la Belgique et les Pays-Bas, fuyant la guerre civile au Yémen et espérant une vie meilleure au Royaume-Uni. « On ne se fait pas d’amis ici. On ne peut faire confiance à personne », murmure-t-il.
La plupart des migrants interceptés par la Border Force ne sont jamais vus par les Britanniques. Ils sont emmenés dans des bâtiments sécurisés avant d’être relogés à travers le pays. La plupart sont de jeunes hommes, et 73 % des demandeurs d’asile le sont.
Le plan-choc de Farage
Le projet de Farage prévoit :
• 2.500 livre sterling offerts aux demandeurs d’asile pour retourner volontairement dans leur pays d’origine, avec billets d’avion financés par le Gouvernement britannique.
• Construction de centres de détention pouvant accueillir 24.000 personnes dans les 18 mois suivant l’élection.
Le Premier ministre britannique, Keir Starmer (parti travailliste), plaide pour une coopération internationale afin de lutter contre les réseaux mafieux qui exploitent les migrants. (ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / AFP).
Le Premier ministre Keir Starmer, arrivé au pouvoir avec une majorité confortable, n’a pas encore montré qu’il pouvait réduire l’afflux de demandeurs d’asile, malgré les critiques envers le Gouvernement précédent. Les derniers chiffres officiels indiquent que 111.084 demandes d’asile ont été déposées au Royaume-Uni jusqu’en juin, dont 43.600 par bateau, un chiffre en forte hausse depuis la pandémie. Plus largement, depuis sept ans, plus de 157.000 migrants ont tenté de traverser clandestinement la Manche, avec un nouveau record de 6.600 arrivées rien que dans les trois premiers mois de 2025.
Accord avec la France : entre coopération et controverse
Starmer a signé un accord avec la France pour le renvoi de certains migrants, tout en maintenant la politique controversée de placement dans des hôtels et motels, provoquant des protestations locales. « Je suis déterminé à briser le modèle commercial des contrebandiers et je prends des mesures conjointes avec nos alliés pour y parvenir », a-t-il déclaré.
Je suis déterminé à briser le modèle commercial des contrebandiers et je prends des mesures conjointes avec nos alliés pour y parvenir.
Pour Farage, la question est aussi symbolique. L’île de l’Ascension, située à environ 1.500 km au large de l’Afrique et 2.200 km de l’Amérique du Sud, est un territoire britannique isolé avec des bases militaires. Chaude, sèche et dotée d’un approvisionnement en eau limité, elle constituerait un éloignement extrême pour les migrants récalcitrants. « C’est loin et cher, mais c’est du symbolisme », explique Farage.
Selon lui, sa politique coûterait 10 milliards de livres sur cinq ans, dont 2,5 milliards pour construire les centres de détention.
Lutte contre les réseaux de passeurs
En parallèle, Starmer a appelé la communauté internationale à s’unir pour « éliminer les réseaux de passeurs une fois pour toutes », en ouvrant un sommet réunissant une quarantaine de pays. Parmi les participants figuraient la France, l’Allemagne, les États-Unis, ainsi que des pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Le sommet vise à combattre la criminalité organisée liée à l’immigration, à partager renseignements et tactiques, et à agir « en amont », depuis les pays d’origine des migrants jusqu’aux nations d’arrivée.
Les tentes de fortune construites par les migrants pour se loger. Photo Alexander Seale.
La coopération internationale inclut également des discussions avec la Chine pour limiter l’exportation de moteurs et pièces pour petits bateaux utilisés dans la Manche, et des campagnes publicitaires en ligne en Irak et au Vietnam pour dissuader les départs.
Une décennie de hausse continue : chiffres et réalités
Les initiatives à l’international pour contrer la vague migratoire viennent compléter les mesures internes, comme le projet de loi de Starmer donnant aux forces de l’ordre des pouvoirs comparables à ceux contre le terrorisme et le durcissement des règles sur la nationalité et le travail illégal.
En 2015, le Royaume-Uni enregistrait 25.771 demandes d’asile sur un an. En 2025, elles sont passées à 111.084, dont 43.600 demandeurs arrivés par bateau.
En 2015, le Royaume-Uni enregistrait 25.771 demandes d’asile sur un an. En 2025, elles sont passées à 111.084, dont 43.600 demandeurs arrivés par bateau. Malgré les besoins dans le secteur de la santé — 31 000 infirmières manquent à l’appel — le débat sur les frontières reste au cœur de la politique.
Témoignages et tensions sur le littoral
Près de 200 migrants, principalement jeunes hommes venant d’Afrique, font la queue pour un repas. Parmi eux, Tupac, originaire de Gambie, raconte son parcours en Europe et son aspiration à une nouvelle vie au Royaume-Uni. « J’ai un esprit fort et je peux travailler, mais on ne t’offre pas l’opportunité de le faire », dit-il, montrant les photos de ses enfants.
Sur le littoral, le jeu du chat et de la souris entre migrants et autorités est permanent. Trois agents patrouillent tous les deux kilomètres, en fonction des marées et de la météo. La police maritime intervient pour empêcher les traversées clandestines et l’accès à l’eau.
Les forces de l’ordre patrouillent pour arrêter les migrants. Photo: Alexander Seale.
J’ai un esprit fort et je peux travailler, mais on ne t’offre pas l’opportunité de le faire.
Le 11 août, l’ancien candidat conservateur Robert Jenrick a posté des images de ce qu’il décrit comme « 60 ou 70 migrants avec des gilets de sauvetage » près de Dunkerque, soulignant la tension persistante sur la question migratoire.
Manche et Ascension, géographie et politique
Sur les côtes britanniques, chaque traversée est un conte de courage et de politique, et chaque décision à Westminster résonne jusqu’aux îles lointaines. Entre la Manche et l’Ascension, Farage semble vouloir transformer la géographie en plan d’action politique…
Reste à savoir si les migrants accepteront le voyage « all inclusive » propose le leader de Reform UK jusqu’au milieu de l’Atlantique. La Manche n’a jamais été aussi étroite… ni aussi symbolique.
Alexander Seale (à Douvres)
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Source: LPOST
