Opinion. Populisme et liberté de la presse ne font pas bon ménage en Afrique
La liberté de la presse en Afrique connaît un tournant. Alors que l’autoritarisme militaire resurgit dans plusieurs États stratégiques du continent, l’information devient un champ de bataille politique. C’est l’un des enseignements du classement 2024 de Reporters sans frontières (RSF), qui documente un affaiblissement global du journalisme, particulièrement marqué dans les régimes populistes et souverainistes. L’Afrique n’y fait pas exception. Mali, Burkina Faso, Niger ; trois pays, un même récit : chasse aux journalistes, censure des médias, rejet affiché de toute critique. Le classement témoigne d’un recul inquiétant, notamment dans les pays du Sahel gouvernés par des juntes militaires. À contre-courant, certains pays comme la Mauritanie ou le Gabon, incarnent désormais une exception.
Dans de nombreux pays africains, exercer le métier de journaliste devient une gageure. Censure, arrestations, suspensions de médias… La liberté d’informer recule, en particulier là où les régimes militaires et populistes renforcent leur emprise sur les institutions.
Fin de la lune de miel entre populisme et liberté de presse
Au Sahel, la lune de miel entre populisme et liberté de la presse n’aura pas duré. Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, la promesse de « refondation » vendue par les juntes militaires a rapidement pris l’allure d’une campagne contre l’information indépendante. Trois pays, un même récit : chasse aux journalistes, censure des médias, et rejet affiché de toute critique, surtout lorsque celle-ci vient de l’étranger.
La liberté de la presse, oui. Mais pas quand elle gêne.
Dans les salons feutrés du pouvoir, la rhétorique est rôdée : l’Occident désinforme, les médias indépendants sont des relais de puissances étrangères, et « la souveraineté » commande le silence. En public, les militaires jurent défendre la liberté. En coulisses, ils traquent les dissidents numériques. Un fonctionnaire burkinabè, sous couvert d’anonymat, résume : « La liberté de la presse, oui. Mais pas quand elle gêne ».
Le classement mondial de la liberté de la presse 2024 de Reporters sans frontières est sans appel : le Burkina Faso perd 28 places (86e) ; le Niger, 19 (80e) ; et le Mali, déjà mal classé, tombe à la 114e position. « Les juntes ne cessent de resserrer leur emprise sur les médias », dénonce l’ONG. Un glissement qui fait désormais de ces pays les maillons faibles de la liberté d’informer en Afrique de l’Ouest.
Le Sahel ferme les ondes
Depuis les prises de pouvoir par les juntes militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger, regroupés sous l’Alliance des États du Sahel (AES), l’espace médiatique s’est considérablement réduit.
Dans ces pays, l’autoritarisme militaire s’accompagne d’une hostilité marquée envers les médias indépendants .
« Dans ces pays, l’autoritarisme militaire s’accompagne d’une hostilité marquée envers les médias indépendants », souligne encore RSF dans son classement 2024 de la liberté de la presse.
Les cas de harcèlement se multiplient. Au Mali, en avril 2025, Alfousseyni Togo, directeur du journal Le Canard de la Venise, a été incarcéré à Bamako pour « atteinte au crédit de la justice ». Il a été remis en liberté provisoire le 12 mai après le paiement d’une caution de 500.000 francs CFA (environ 762 euros). Au Burkina Faso, la station privée Radio Oméga a été suspendue, accusée de « désinformation » pendant un mois entre août et septembre 2023. Au Niger, la journaliste Samira Sabou a été brièvement arrêtée après le coup d’État de 2023, après avoir relayé des informations jugées sensibles.
AFP
Cette photographie montre un microphone portant le logo d’Erena radio Erythree International à Paris, le 31 octobre 2024. Depuis un minuscule studio niché dans un appartement parisien, les puissantes ondes de Radio Erena s’élèvent. Seul média indépendant disponible dans le trou noir de l’information qu’est l’Érythrée, la station était menacée de disparition en octobre 2024 faute de financement après quinze ans d’existence. (Photo par Gregoire CAMPIONE / AFP)
Parallèlement, des médias internationaux comme France 24, RFI ou TV5 Monde ont été bannis, coupant les populations de sources d’information alternatives. « Le discours souverainiste des régimes s’accompagne d’un repli informationnel préoccupant », note un analyste basé à Ouagadougou.
Corrélation imparfaite entre richesse et liberté de la presse
À l’opposé, certains pays, comme l’Afrique du Sud, la Namibie, le Gabon ou la Mauritanie se distinguent, avec des scores très supérieurs à certains pays développés occidentaux. Ceci laisse à penser que la corrélation entre pauvreté et liberté de la presse n’est pas juste. Par exemple, la Mauritanie, 50e au classement RSF, est pourtant au 145e rang concernant le pouvoir d’achat par habitant. Le pays se situe ainsi devant nombre de grands pays développés, comme les Etats-Unis, le Brésil ou le Japon. « Une place qu’aucun pays africain ou arabe n’a jusque-là atteinte » selon RSF. D’après l’ONG, « aucun journaliste n’y a été emprisonné ou tué, et les débats politiques sont ouverts ».
Aucun journaliste n’y a été emprisonné ou tué, et les débats politiques sont ouverts en Mauritanie.
Les autorités ont multiplié les signaux positifs : dépénalisation partielle des délits de presse, tolérance envers les médias d’opposition, y compris satiriques, comme Le Calame ou Mauriweb, et maintien d’un débat pluraliste dans l’espace public.
Afrique de l’Est : des régimes entre modernité et verrouillage
En Afrique de l’Est, la situation varie fortement. L’Érythrée reste à la dernière place mondiale (180ᵉ), où aucun média indépendant n’est autorisé. À l’inverse, les Seychelles (43ᵉ) et la Namibie (36ᵉ) font figure de bons élèves du continent.
En Ouganda, le quotidien Red Pepper a subi plusieurs suspensions, et des journalistes sont régulièrement arrêtés lors de manifestations. Au Rwanda, la presse est largement inféodée au pouvoir, tandis que des journalistes critiques sont contraints à l’exil.
Si le tableau est sombre, quelques pays comme le Sénégal, malgré une année 2023 tendue, conservent une presse dynamique.
Si le tableau est sombre, quelques pays comme le Sénégal, malgré une année 2023 tendue, conservent une presse dynamique. La victoire de Bassirou Diomaye Faye, opposant devenu président, laisse espérer un souffle nouveau pour la liberté d’expression.
Selon RSF, « les conditions d’exercice du journalisme sont jugées mauvaises dans 138 pays sur 180 ». L’Afrique enregistre en 2024 la plus forte détérioration régionale. Pourtant, souligne l’organisation, « les libertés de la presse ne dépendent pas du niveau de richesse mais de la volonté politique ».
Paul Villerac
Economiste français
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Source: LPOST