Médecins formés au Royaume-Uni : le casse-tête de la reconnaissance des diplômes post-Brexit en Europe


Médecins formés au Royaume-Uni : le casse-tête de la reconnaissance des diplômes post-Brexit en Europe
Depuis le 1er janvier 2021, date d’entrée en vigueur effective du Brexit, les médecins diplômés au Royaume-Uni ne bénéficient plus de la reconnaissance automatique de leurs qualifications professionnelles dans l’Union européenne. En France, cette décision a eu des conséquences  profondes, en particulier pour les praticiens français et européens qui avaient choisi le Royaume-Uni pour la qualité de sa formation médicale. Jusqu’au 31 décembre 2020, ces diplômes étaient reconnus de plein droit dans toute l’Union européenne grâce à la directive 2005/36/CE sur la reconnaissance des qualifications professionnelles. Depuis le 1er janvier 2021, les médecins européens formés au Royaume-Uni sont confrontés à un véritable chemin de croix pour obtenir la reconnaissance de leurs diplômes, y compris en Belgique.
Aujourd’hui, les professionnels concernés doivent suivre une procédure dite d’« Autorisation individuelle d’exercice » (AIE), qui les assimile à des praticiens « hors UE ». Ils doivent ainsi passer devant une commission nationale d’autorisation, fournir des preuves détaillées de leurs compétences, parfois réussir des Epreuves de vérification des connaissances (EVC), et accomplir jusqu’à deux années de formation dans un hôpital français.
Ce parcours administratif et académique est long, opaque, coûteux et surtout démotivant.
Ce parcours administratif et académique est long, opaque, coûteux et surtout démotivant. Il retarde considérablement leur entrée sur le marché du travail, bloque leur évolution professionnelle et suscite un sentiment d’injustice profonde, surtout chez ceux qui avaient entamé leur cursus au Royaume-Uni dans le cadre d’un système encore européen.
Un paradoxe dans un contexte de pénurie médicale
Cette situation est d’autant plus incompréhensible que la France connaît une pénurie criante de médecins, en particulier dans les territoires ruraux et les zones dites « sous-denses ». La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) estime qu’en 2025, environ 30 % des généralistes partiront à la retraite, accentuant les tensions sur l’offre de soins. Dans ce contexte, il est paradoxal que des professionnels qualifiés, prêts à s’installer dans des territoires en souffrance médicale, soient écartés en raison d’un vide réglementaire post-Brexit.
Comment peut-on continuer à refuser à ces praticiens la possibilité d’exercer, alors même qu’ils ont été formés dans des établissements réputés et que leur compétence est reconnue dans leur pays d’origine ?
Des députés de tous bords ont tiré la sonnette d’alarme. Vincent Caure (Renaissance), dans une question au gouvernement déposée le 8 mars 2025, a dénoncé l’absurdité de la situation.« Comment peut-on continuer à refuser à ces praticiens la possibilité d’exercer, alors même qu’ils ont été formés dans des établissements réputés et que leur compétence est reconnue dans leur pays d’origine ? », interpelle-t-il. Malgré plusieurs interpellations au Parlement et des pétitions professionnelles, le gouvernement tarde à apporter une réponse structurelle à ce problème.

AFP
Le député Renaissance, Vincent Caure dénonce l’absurdité de la situation qui pénalise les médecins ayant eu leurs diplômes au Royaume-Uni. (Photo par Bertrand GUAY / AFP).
Sur le terrain : une offre de soins fragilisée
Les répercussions de cette non-reconnaissance des diplômes sont déjà visibles sur le terrain. Dans l’Yonne, département rural très affecté par la désertification médicale, un dermatologue ayant exercé plus de dix ans entre le Royaume-Uni et la France s’est vu contraint en 2022 de choisir entre ses deux inscriptions ordinales. Etant donné les nouvelles règles post-Brexit, il lui était devenu impossible de conserver un double enregistrement auprès des conseils de l’ordre britannique (General Medical Council) et français.
Résultat : cet expert, pourtant diplômé du Royal College of Physicians et inscrit à l’Ordre des Médecins depuis 2014 en France, a mis fin à sa pratique dans l’un des deux pays, réduisant encore l’accès aux soins dermatologiques pour ses patients français. Ces cas ne sont pas isolés : dans des spécialités déjà en tension (ophtalmologie, anesthésie, psychiatrie), la perte de praticiens européens formés outre-Manche creuse un peu plus le fossé entre besoins médicaux et ressources disponibles.
L’attente d’une médecin franco-italienne à Londres
À Chelsea, quartier cossu de l’ouest londonien, la Dr Chiara B., médecin généraliste franco-italienne de 34 ans, partage son désarroi. « J’ai étudié à King’s College London, j’ai validé mes rotations cliniques au NHS, et j’ai commencé à pratiquer en 2021. Mon diplôme aurait été reconnu sans problème si j’avais terminé un an plus tôt », confie-t-elle, amère. Chiara a entamé des démarches en France dès 2022, pensant pouvoir s’installer comme médecin dans la Drôme, où un poste l’attendait.
J’ai étudié à King’s College London, j’ai validé mes rotations cliniques au NHS, et j’ai commencé à pratiquer en 2021.
Mais depuis deux ans, elle est bloquée dans une boucle bureaucratique : « On me demande des attestations que les universités britanniques ne délivrent plus, et on m’impose une période d’adaptation alors que j’ai déjà exercé dans un système hospitalier reconnu mondialement ». Elle n’est pas la seule : à Londres, elle échange régulièrement avec des collègues belges, allemands, grecs, tous diplômés de St George’s, Imperial College ou University of Edinburgh. « On est une génération coincée entre deux systèmes, on se sent invisibles pour les autorités françaises ».
Des propositions au point mort
Face à cette situation, plusieurs pistes ont été proposées par des parlementaires et syndicats médicaux. D’une part, la création d’un statut transitoire pour les médecins européens ayant entamé leurs études avant le 31 décembre 2020. D’autre part, l’instauration de dispositifs dérogatoires dans les zones sous-dotées, qui permettraient à ces praticiens d’exercer tout en finalisant leur procédure d’équivalence. Le Conseil national de l’Ordre des Médecins (CNOM), sollicité à plusieurs reprises, affirme travailler à une solution, mais renvoie la balle au ministère de la Santé.
Le Conseil national de l’Ordre des Médecins (CNOM), sollicité à plusieurs reprises, affirme travailler à une solution, mais renvoie la balle au ministère de la Santé.
Pour l’heure, aucune circulaire officielle, ni décret, n’a été publié pour pallier ce vide juridique. Cette inertie, dans un contexte de tension extrême sur les effectifs médicaux, interroge : combien de temps la France peut-elle continuer à se priver de professionnels compétents, à cause d’un défaut d’anticipation post-Brexit ?
Une urgence sanitaire et politique
Au moment où l’attractivité de la France pour les professionnels de santé est remise en question par la lourdeur administrative et les conditions de travail dégradées, cette problématique soulève une question de fond : la capacité du pays à s’adapter rapidement aux réalités géopolitiques et sanitaires. Car au-delà du Brexit, d’autres évolutions vont continuer à bousculer les frontières du soin (mobilité croissante, reconnaissance internationale des diplômes, digitalisation de la médecine).
Sans une réforme rapide et ciblée, la France risque de voir ces médecins européens choisir d’autres destinations : l’Irlande, la Scandinavie, ou même le secteur privé britannique. Et ce, alors que les déserts médicaux s’étendent chaque jour un peu plus.
Un cardiologue belgo-marocain entre deux mondes
Dr Samir E., cardiologue belgo-marocain de 39 ans, a, quant à lui, étudié à l’Université de Cambridge avant de compléter sa spécialisation en cardiologie au sein du NHS. Fort d’une expérience de près de huit ans dans des hôpitaux de renom en Angleterre, il envisageait un retour en Europe continentale, en particulier dans le nord de la France, région frontalière avec la Belgique et particulièrement touchée par le manque de spécialistes.
Je parle français, je connais le système de soins français, et j’ai une expérience que beaucoup de services recherchent, notamment en imagerie cardiaque et rythmologie.
« Je parle français, je connais le système de soins français, et j’ai une expérience que beaucoup de services recherchent, notamment en imagerie cardiaque et rythmologie », explique-t-il. Pourtant, malgré un profil attractif, il se heurte à des demandes administratives décourageantes. « On m’a demandé de refaire une partie de ma formation dans un CHU, alors que je dirige une unité de cardiologie interventionnelle à Londres. C’est kafkaïen ».
Pour l’instant, il continue à exercer au Royaume-Uni, mais observe avec inquiétude la fermeture progressive des portes françaises. « Ce qui me blesse le plus, c’est qu’on me perçoit comme un étranger, alors que je suis un Européen formé dans l’un des meilleurs systèmes médicaux du continent ».
Hamid Chriet
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Source: LPOST

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