Russie : l’opposant Alexeï Navalny condamné à 19 ans de prison pour « extrémisme »
En Russie, les procès d’opposants se suivent et se ressemblent. A l’issue d’un procès tenu à huis-clos pour des charges fantaisistes « d’extrémisme », l’opposant Alexeï Navalny a été condamné, ce vendredi, à 19 ans de prison. Pour rappel Evgueni Prigojine, le patron du « Groupe Wagner » qui avait tenté un coup d’Etat le 23 juin dernier, n’a, lui, jamais été poursuivi. La différence entre les deux hommes est évidemment énorme : Prigojine a longtemps été l’homme des basses œuvres du Kremlin (et il est possible qu’il le soit toujours), que ce soit en Afrique ou en Ukraine tandis que Navalny est un opposant libéral qui a combattu Vladimir Poutine par des moyens légaux. Ceci explique cela.
Un tribunal de Moscou a donc rendu, ce vendredi après-midi 4 août, un verdict sans surprise à l’encontre d’Alexeï Navalny, le principal leader de l’opposition au régime de Vladimir Poutine. Navalny, déjà condamné à plusieurs reprises (pour « escroquerie », « organisations de manifestations illégales », « violations du contrôle judiciaire », « outrage à magistrat », etc.), purgeait une peine de onze ans et demi de prison – deux ans et demi résultant d’une ancienne condamnation avec sursis de 2014 et neuf ans infligés en mars 2022- dans un établissement de haute sécurité – la « colonie pénitentiaire IK-6 » de Melekhovo, à environ 250 kilomètres à l’est de Moscou.
En fin d’après-midi, vendredi, des doutes subsistaient quant à la durée exacte de la nouvelle peine, car la transmission audio du tribunal – seule source d’information immédiate, les journalistes n’étant pas autorisés à pénétrer dans la salle et le procès s’étant tenu à huis-clos – était de mauvaise qualité. Les autorités judiciaires russes n’avaient pas immédiatement confirmé la sentence.
« Financement d’activités extrémistes », « réhabilitation du nazisme »
Dans le nouveau procès qui lui était intenté, l’opposant était accusé d’avoir créé, en 2011, une « organisation extrémiste », la Fondation anticorruption (Fond borby s korruptsiyey, ou FBK) qui s’était livrée à de nombreuses enquêtes sur les fortunes de l’élite russe, l’entourage de Vladimir Poutine et le maître du Kremlin lui-même. En 2012, il avait fondé le Conseil de Coordination de l’Opposition Russe (Koordinatsionnyy sovet rossiyskoy oppozitsii, ou KSO) qui disposait de 45 bureaux régionaux. Le KSO avait été dissout en 2013 et, en 2019, le FSB déclarait le FBK « agent de l’étranger » avant qu’un tribunal de Moscou ne l’accuse d’être une « organisation extrémiste » en juin 2021 et le dissolve.
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Un écran montre la figure de l’opposition russe déjà emprisonnée Alexei Navalny (2ème à partir de la gauche sur la photo), alors qu’il écoute son verdict sur une série d’accusations d’extrémisme à la colonie pénitentiaire IK-6, une prison à sécurité maximale à environ 250 kilomètres à l’est de Moscou, dans la colonie de Melekhovo dans la région de Vladimir le 4 août 2023. (Photo prise par Alexander NEMENOV / AFP)
Lors de son nouveau procès, Navalny a dû répondre de sept chefs d’accusation graves : participation à des activités extrémistes et financement de ces activités, création d’une ONG qui « porte atteinte aux droits des citoyens », participation de mineurs à des actes dangereux et réhabilitation du nazisme (sic !). Ce vendredi, il a été condamné pour tous ces chefs d’accusation, sauf le dernier.
Un autre procès avec une condamnation à perpétuité en vue
Dans un communiqué publié jeudi – avant le prononcé du verdict, donc – les proches d’Alexeï Navalny citaient une phrase de l’opposant qui estimait que « la peine serait longue ». Il connaît bien ses adversaires et ne s’est pas trompé. Ses ennuis judiciaires ne sont peut-être par terminés pour autant : en avril dernier, Navalny révélait que, dans le cadre des accusations d’extrémisme, une procédure distincte avait été lancée contre lui, dans laquelle il serait accusé de terrorisme et jugé par un tribunal militaire. Un procès qui pourrait se terminer par une nouvelle condamnation, mais à perpétuité, cette fois.
Alexeï Navalny s’était imposé comme le principal opposant à Vladimir Poutine, et certainement le plus virulent, depuis l’assassinat de son associé politique Boris Nemstov, dans la soirée du 27 février 2015, à deux pas du Kremlin.
Inquiétudes pour la sécurité physique de l’opposant
Daniel Kholodny, qui travaillait pour la chaîne YouTube de M. Navalny, a également été accusé de financement et de promotion de l’extrémisme et a aussi été condamné à une peine de prison vendredi, mais en raison de la mauvaise qualité de la transmission audio à l’intérieur de la salle d’audience fermée, les journalistes n’ont pas pu entendre clairement à quelle peine il était condamné.
Dans le communiqué publié jeudi, Navalny avait déclaré que Daniel Kholodny faisait partie de son équipe de production technique, mais que les enquêteurs l’avaient fait passer pour l’un des « organisateurs » de l’organisation extrémiste et qu’ils avaient tenté de faire pression sur lui, lui offrant sa libération en échange d’un témoignage accablant contre son chef.
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ulia Navalnaya, épouse du chef de l’opposition russe Alexei Navalny s’entretient avec des journalistes à l’hôpital d’urgence n°1 d’Omsk où le chef de l’opposition a été admis après être tombé malade dans ce que sa porte-parole a qualifié d’empoisonnement présumé, à Omsk le 21 août 2020. (Photo prise Dimitar DILKOFF / AFP)
Au-delà de ces condamnations, c’est la sécurité physique même de l’opposant Alexeï Navalny qui inquiète ses proches et les organisations de défense des droits de l’homme.
On se rappellera qu’il avait fait l’objet d’une tentative d’empoisonnement le 20 août 2020. Il n’avait été sauvé qu’à la suite de son hospitalisation en Allemagne. Ce séjour de plusieurs mois à l’hôpital de La Charité à Berlin avait d’ailleurs été utilisé comme une preuve qu’il avait rompu son contrôle judiciaire et avait motivé sa premières condamnation (deux ans et demi de prison).
Depuis qu’il est détenu à IK-6, Navalny est à la merci de ses codétenus, pour la plupart des criminels dangereux et particulièrement violents, mais également de ses gardiens. Privé de visites, il a été placé 17 fois à l’isolement. Dans des déclarations antérieures, son équipe a décrit comment l’administration pénitentiaire le punissait pour des transgressions aussi mineures qu’une chemise déboutonnée…
Une répression jamais connue depuis l’ère soviétique
La répression de toute opposition politique – ou même de tout soupçon d’opposition, voire d’attitude critique face à la guerre menée en Ukraine – s’est nettement renforcée depuis le début du conflit, atteignant un niveau jamais connu depuis la fin de l’ère soviétique.
De nombreuses organisation et des médias ont été accusés d’être des « agents de l’étranger » et dissouts ou contraints à cesser leurs activités. On peut désormais être poursuivi pour « diffusion de fausses nouvelles » ou « diffamation de l’armée » et le simple fait d’utiliser le mot « guerre » pour qualifier ce que Moscou s’acharne à appeler « opération militaire spéciales en Ukraine », peut vous envoyer en prison.
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Le chef de l’opposition Alexei Navalny apparaît sur un écran installé dans une salle d’audience du tribunal municipal de Moscou via une liaison vidéo depuis sa colonie pénitentiaire lors d’une audience d’appel contre sa peine de neuf ans de prison qu’il a été condamnée en mars après avoir été retrouvé coupable de détournement de fonds et d’outrage au tribunal, à Moscou le 24 mai 2022. (Photo prise par Alexander NEMENOV / AFP)
Si de nombreux opposants ont choisi l’exil, d’autres, ont été arrêtés et condamnés, parfois pour un simple « post » sur les réseaux sociaux, ou alors sous des prétextes obscurs. Ainsi, le 26 juillet dernier, Ilya Sarchkov, fondateur d’un fleuron russe de la cyber sécurité, le « Group IB », était condamné à 14 ans de prison pour « haute trahison ». La même accusation avait été portée par le FSB, le 13 juillet contre un militant transgenre opposé à la guerre. Le 17 mai, un tribunal moscovite ordonnait l’arrestation du producteur de cinéma et directeur de théâtre, Alexander Rodnyansky, pour « avoir répandu de fausses nouvelles sur l’armée ». Et le 17 avril dernier, Vladimir Kar-Mirza, un ancien journaliste qui avait été proche de Boris Nemstov et était considéré comme « l’opposant numéro 2 » (après Navalny) était condamné à 25 ans de prison pour « haute trahison ».
Dans le même temps, des diplomates étrangers ont été expulsés et des journalistes sont de plus en plus limités dans l’exercice de leur métier. En mars dernier, le correspondant moscovite du « Wall Street Journal », Evan Gerhskovich, était arrêté pour « espionnage ». Il est toujours en détention.
Et nous n’avons sans doute pas encore vu le pire. Enlisé dans la guerre, parfois contesté par ses partisans les plus proches, comme on l’a vu en juin dernier avec le putsch manqué du Groupe Wagner, le régime de Vladimir Poutine a choisi la fuite en avant. Seule la chute ou la mort du maître du Kremlin pourra enrayer cette course folle vers l’abime. Mais la possibilité qu’il soit remplacé par un opposant libéral est quasi nulle.
Les démocrates russes n’ont pas fini de souffrir.
Hugues Krasner
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Source: LPOST