Le « Visagate » iranien se transforme en crise belgo-belge et menace l’avenir de la ministre Hadja Lahbib au Gouvernement
Dire que l’atmosphère était tendue, mercredi soir, dans les couloirs des cénacles politiques à Bruxelles serait un doux euphémisme. Ni la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib (MR), ni le Premier ministre, Alexander De Croo (Open VLD) n’ont réellement convaincu lors de leur audition par la Commission des Affaires étrangères du Parlement fédéral sur l’affaire des visas accordés au maire de Téhéran et à une délégation dont certains membres étaient plus que suspects. Mais au-delà des questions de principes, c’est à un affrontement politique très belgo-belge auquel on a assisté. Avec, en filigrane, une menace très réelle pour la survie de la Vivaldi… Les partenaires au sein du Gouvernement fédéral ne sont plus sur la même longueur d’ondes pour soutenir la ministre des Affaires étrangères face à des éléments qui apparaissent comme des mensonges ou des contradictions.
Le 14 juin, nous écrivions que la tempête politico-médiatique déclenchée par la délivrance des visas au maire de Téhéran, Alireza Zakani, et à ses sbires n’était peut-être que le prologue à un scandale d’Etat. Eh bien nous y sommes. Mais pas seulement pour des questions de principes : les purs calculs partisans menacent, eux aussi, l’avenir de la coalition gouvernementale.
D’abord les faits bruts. Ceux-ci sont loin de faciliter les choses pour la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib (MR).
Le boucher de Téhéran et ses barbouzes
On sait désormais que l’un des membres de la délégation qui accompagnait Alireza Zakani (aimablement surnommé par ses compatriotes, pour des raisons que l’on imagine sans peine, le « boucher de Téhéran »), n’est autre que le responsable de la vidéo surveillance des rues de la capitale iranienne. C’est-à-dire l’homme dont dépendent la collecte et l’exploitation des images qui permettent de poursuivre les femmes qui osent défier le régime en retirant leur voile ou encore toute personne qui manifeste contre le régime.
Abdolmotahar Mohammadkhani, qui accompagnait Zakani, fut le rédacteur en chef de l’agence de presse Fars qui n’est autre que le canal privilégié de communication et de propagande de l’organisation des Gardiens de la Révolution (que le parlement européen souhaiterait voir inscrite sur la liste des organisations terroristes). Circonstance aggravante, il a été observé en train de filmer des opposants iraniens qui manifestaient contre la présence à Bruxelles de sa délégation (ce qui a entraîné un dépôt de plainte par la députée N-VA Darya Safai, ex-réfugiée iranienne en Belgique, naturalisée belge 2003). Bref, un casting assez discutable. Et pour couronner le tout, alors que madame Lahbib et le chef du gouvernement répètent qu’ils n’ont pas voulu « humilier l’Iran », Abdolmotahar Mohammadkhani ne s’est guère privé du plaisir d’humilier la Belgique : à peine rentré chez lui, il se vantait dans une vidéo rendue publique d’avoir filmé les opposants. Au 16 rue de la Loi comme à la rue des Petits Carmes (le siège des Affaires étrangères), on appréciera.
Le député Malik Ben Achour (PS) critique sévèrement les déclarations de la ministre Lahbib. AFP
La réplique du député Malik Ben Achour (PS) aux déclarations de la ministre des Affaires étrangères indique que la PS ne soutient plus tellement cette dernière. (AFP).
Mensonges et contradictions
Ces faits nouveaux, venant s’ajouter aux explications pour le moins alambiquées sur la procédure ayant conduit à la délivrance des visas litigieux, n’arrangent pas les affaires du duo Lahbib-De Croo.
D’abord, il y a une semaine, Hadja Lahbib affirmait que les visas avaient été délivrés après avis de la Sûreté de l’Etat, via l’Ocam. Ici, c’est un problème de chronologie qui se pose : le rapport de l’Ocam est arrivé le 9 juin sur la table du gouvernement ; mais les visas avaient été délivrés dès le 8 juin. Sauf à jouir d’un remarquable don lui permettant de deviner l’avenir, on voit mal comment Hadja Lahbib pouvait connaître, 24 heures à l’avance, le contenu de cette note. Confusion ou mensonge ? On ne le saura sans doute jamais. Georges Dallemagne (« Les Engagés ») va, en tout cas, demander des précisions au « Comité R », chargé du contrôle des services de renseignement.
En quoi le refus d’un visa serait-il plus humiliant que le refus d’une invitation ?
Quant au fond, quand on leur dit que les services compétents ne relevaient aucun risque de sécurité en « criblant » les biographies des invités iraniens, les opposants qui ont été filmés par Mohammadkhani et dont les proches vivant encore en Iran sont désormais en danger, seront certainement rassurés.
A force de se contredire, Hadja Lahbib a donné la désagréable impression d’affirmer tout et son contraire d’une semaine à l’autre. Jeudi dernier, en séance plénière, elle soutenait que les visas avaient été délivrés « en suivant la procédure normale » ; en commission, ce mercredi 21 juin, elle a admis qu’ils l’ont été en « procédure accélérée ». Il faut choisir.
Il est loin le temps où Darya Safai (à gauche sur la photo) et laministre Hadja Lahbib, coupaient leurs cheveux pour protester contre les événements en Iran lors d’une session plénière de la Chambre au Parlement fédéral. C’était en octobre 2022. BELGA
La député N-VA Darya Safai (à gauche sur la photo et la ministre des Affaires étrangèrtes, Hadja Lahbib (à droite) lors d’une session au Parlement en octobre 2022. (BELGA PHOTO).
Autre contradiction : Madame Lahbib assure qu’elle n’était pas favorable aux invitations lancées à Téhéran, mais que « le refus de visa aurait été vu comme une humiliation ». Ce qui lui attire cette réplique de Malik Ben Achour (PS) : « En quoi le refus d’un visa serait-il plus humiliant que le refus d’une invitation ? ». Bonne question.
Seuls les libéraux soutiennent Hadja Lahbib, mais un peu maladroitement…
Le problème s’est donc déplacé sur le terrain politique belgo-belge. On s‘attendait, bien entendu, à ce que l’opposition sonne l’halali, ce qui était de bonne guerre. Mais les partenaires de majorité de la famille libérale n’ont pas été plus tendres, accusant la ministre de mentir. Pour le PS, Malik Ben Achour a exhorté la ministre à « prendre ses responsabilités ». En langage moins diplomatique, il aurait pu dire « prendre la porte ». L’écologiste Samuel Cogolati, lui, a systématiquement contesté la version (il faut bien le dire un tout petit peu compliquée) livrée par Hadja Lahbib.
Le président du MR Georges-Louis Bouchez soutient la ministre Hadja Lahbib, mais jusqu’où ira ce soutien ? Photo Philippe BOURGUET / bePress Photo Agency
Le président du MR, Georges-Louis Bouchez soutient celle qu’il a nommée au mijnistère des Affaires étrangères. (Photo Philippe BOURGUET / bePress Photo Agency)
Bien entendu, derrière l’Iran, d’autres problèmes sont présents dans tous les esprits, entre autres, les multiples tensions qui ont opposé le MR à ses partenaires (et même à son cousin flamand, l’Open VLD), depuis de longs mois. Nul doute que cette crise qui part d’un problème éthique (« jusqu’où aller dans les rapports avec un Etat voyou ? ») a des relents de règlements de comptes.
Bref, après la séance de ce mercredi, il apparaît clairement que deux partis seulement (sur sept figurant dans la coalition) soutiennent Hadja Lahbib : les formations libérales flamande et francophone. Et encore, un peu avant 18h, Le Premier ministre Alexander De Croo admettait que « les choses auraient dû se dérouler autrement ». Avec un tel allié, on n’a plus besoin d’ennemi. Du côté du MR, on fait front. Michel De Maegd félicite Hadja Lahbib pour « sa transparence » (sic ! On l’a connu plus critique quand il était journaliste), tandis que le président du parti, Georges-Louis Bouchez, on le sait, rejette toutes les responsabilités sur le secrétaire d’Etat bruxellois Pascal Smet (Vooruit/ex-SP.A). Une ligne de défense qui n’est peut-être pas idéale : elle risque de rappeler à tous que Smet, lui, les a prises, ses responsabilités. En démissionnant….
La ministre Hadja Lahbib promet d’interpeller son homologue iranien à propos du comportement de membres de la délégation de son pays en Belgique.
Les réponses de madame Lahbib ont donc été (très) loin de calmer le jeu. A court d’arguments, elle a affirmé qu’elle allait « interpeller son homologue iranien à propos du comportement de membres de la délégation de son pays en Belgique ». Nul doute que celui-ci, Hossein Amir Abdollahian, très proche des Gardiens de la Révolution et du guide suprême Ali Khamenei, un dur donc, sera impressionné par cette fermeté. On tremble déjà à Téhéran…
La tension continuera de monter
Mercredi soir, un Kern a réuni les principaux ministres de la coalition. Le deuxième de la journée, et il fut tout aussi tendu, nous assure-t-on, que le premier qui s’était tenu dans la matinée. Ce jeudi, la séance plénière de la Chambre sera peut-être l’occasion de nouvelles passes d’armes, mais c’est lors de la plénière de jeudi prochain que se jouera le sort de la ministre Hadja Lahbib, lors du vote sur les motions de défiance.
Pour Denis Ducarme, Il est affligeant que cette affaire permette aux mollahs de rire dans leurs sales barbes à voir comment leur régime de terreur arrive, sur une question de visas, à déstabiliser un Gouvernement européen. BELGA
Le député Denis Ducarme (MR) invite ses collègues à faire preuve de pragmatisme. (BELGA PHOTO).
Au MR, l’ambiance est morose. « Hadja Lahbib a fait une énorme erreur », nous affirme un poids lourd du parti (qui, pour des raisons évidentes, a souhaité rester anonyme). « On peut la mettre sur le compte de son inexpérience, mais ce n’est pas une excuse. A son niveau et sur un tel problème, on n’a pas droit à l’erreur. Et il est évident que la démission de Pascal Smet place la ministre dans une position intenable quand elle donne l’impression de s’accrocher à son siège envers et contre tout… »
Un autre Bleu nous glisse : « Aucune chance que cela s’arrange. La motion de défiance déposée par la N-VA pour la démission ne sera soumise au vote en plénière que la semaine prochaine. Donc, il y aura encore plusieurs jours de dramatisation. Il n’y a que trois issues possibles : un retour au calme, fort peu probable, une démission de Lahbib, ou la chute du gouvernement. Mais GLB (Georges-Louis Bouchez, ndlr) ne pourra pas en décider seul. Nous sommes quelques-uns à vouloir lui expliquer qu’entre le soutien inconditionnel à Hadja Lahbib et la survie d’une coalition qui a encore des dossiers importants à traiter, comme celui de la réforme fiscale, le choix devrait être évident… »
Denis Ducarme, lui, seul libéral à accepter de nous parler ouvertement, nous confiait, mercredi soir : « Il est affligeant que cette affaire permette aux mollahs de rire dans leurs sales barbes à voir comment leur régime de terreur arrive, sur une question de visas, à déstabiliser un Gouvernement européen. Certains députés auraient dû penser aussi à cet aspect des choses avant de faire feu, ce mercredi, à la Chambre… »
Hugues Krasner
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