« Tentative d’assassinat » de Vladimir Poutine : une grossière manœuvre russe ?
Les accusations des autorités russes concernant une tentative d’assassinat orchestére par Kiev et son président (à gauche sur la photo) pour tuer le président russe (à droite) ressemblent à de la désinformation. AFPLe service de presse du président russe a annoncé, ce mercredi 3 mai, que l’Ukraine avait tenté de frapper le Kremlin pendant la nuit dans le but d’assassiner Vladimir Poutine. Kiev a immédiatement démenti ce qui ressemble fort à une opération de désinformation russe. Le pouvoir russe est un maître de la désinformation et de ce que les militaires appellent les « opérations de déception » (soit la combinaison de manœuvres stratégiques et tactiques mêlant opérations spéciales, dissimulation, diversion et intoxication) visant à tromper l’adversaire. Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, plusieurs éléments factuels ou relevant de l’analyse stratégique permettent, en tout cas, de douter (ceci est un euphémisme…) des assertions du Kremlin. Explications.
A en croire les porte-paroles du maître du Kremlin, l’Ukraine aurait donc tenté d’assassiner le président Vladimir Poutine dans la nuit du 2 au 3 mai. Selon l’Agence Tass, connue depuis toujours pour son indépendance et sa grande objectivité, « deux drones ukrainiens » auraient été abattus, dont l’un au moins au-dessus du bâtiment du Sénat, à l’intérieur des murailles de la forteresse qui symbolise le pouvoir. « Nous voyons ces actions comme une tentative d’acte terroriste et un attentat contre la vie du président », ont déclaré les autorités. Toujours selon Tass, l’attaque ukrainienne n’a pas fait de victimes et le chef de l’État n’a pas été blessé.
En tout état de cause, quelques images non vérifiées circulent actuellement sur les réseaux sociaux et montrent, notamment, l’explosion d’un drone. Dans un communiqué (toujours relayé par l’Agence Tass), la Russie a affirmé « se réserver le droit de répondre à cette tentative d’attaque contre le Kremlin où et quand elle le jugera nécessaire ».
En tout état de cause, quelques images non vérifiées circulent actuellement sur les réseaux sociaux et montrent, notamment, l’explosion d’un drone.
Du côté de Kiev, Mykhaïlo Podoliak, conseiller de Volodymyr Zelensky a estimé (sur Twitter) que « tout [était] prévisible » et que cet événement serait utilisé par Moscou comme un prétexte pour « une attaque terroriste à grande échelle».
Voilà pour les faits bruts. Passons à leur analyse.
Une élimination de Poutine n’aurait, stratégiquement, aucun intérêt
On sait que le pouvoir russe est un maître de la désinformation et de ce que les militaires appellent les « opérations de déception » (soit la combinaison de manœuvres stratégiques et tactiques mêlant opérations spéciales, dissimulation, diversion et intoxication) visant à tromper l’adversaire. Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, plusieurs éléments factuels ou relevant de l’analyse stratégique permettent, en tout cas, de douter (ceci est un euphémisme…) des assertions du Kremlin.
Stratégiquement, une élimination de Vladimir Poutine ne représente aucun intérêt.
Tout d’abord, stratégiquement, une élimination de Vladimir Poutine ne représente aucun intérêt : dans le contexte actuel, seul un membre de la direction russe pourrait succéder à Poutine, donc quelqu’un qui a été étroitement associé à la guerre d’agression contre l’Ukraine. Arrivant au pouvoir après l’assassinat du Président, ce successeur issu du sérail ne pourrait que prendre des mesures extrêmement dures contre Kiev. Les réactions de la haute administration moscovite (par exemple la déclaration président de la Douma/parlement, Viatcheslav Volodine, qui appelle à « détruire le gouvernement ukrainien et à viser directement Volodymyr Zelensky »), donnent une idée assez précise de la manière dont Moscou réagirait à une disparition violente de son nouveau tsar qui serait imputable à l’ennemi ukrainien.
Pour Washington et l’Europe, une ligne rouge infranchissable
Ensuite, il est pour le moins improbable que Kiev puisse obtenir le feu vert de Washington pour mener une frappe directe contre le président russe et il est totalement impensable que l’Ukraine s’engage à une telle opération sans l’aval de Washington ou en cachant ses intentions aux Etats-Unis dont le soutien est vital pour son effort de guerre. Or, Washington ne donnerait jamais son autorisation pour une telle élimination qui risquerait de générer le chaos à Moscou et à rendre encore plus imprévisibles les réactions russes sur le terrain ukrainien, sans parler des risques d’escalade contre l’Otan.
Pour les Etats-Unis comme pour les capitales européennes, il y a là, clairement, une ligne rouge infranchissable. L’Otan peut, à la rigueur, s’accommoder de frappes sur la Crimée ou d’actions ponctuelles et de portée limitée sur le territoire russe, comme celles auxquelles on a assisté depuis des mois, mais pas d’une attaque directe contre Moscou et encore moins contre les centres de pouvoirs russes..
Du point de vue tactique, par ailleurs, il est fort peu probable que les moyens de détection et anti-aériens en place autour des principaux lieux de pouvoir moscovites permettent à un drone d’arriver au-dessus du Kremlin.
Vladimir Poutine ne réside pas au Kremlin et y vient très rarement
Si Kiev voulait réellement éliminer Vladimir Poutine (ce dont on peut douter, pour les raisons exprimées ci-dessus), attaquer le Kremlin n’aurait, de toute façon, aucun sens. On sait que Poutine n’y passe que très peu de temps, préférant de loin vivre à Novo-Ogaryovo, sa résidence hypersécurisée non loin de la capitale. De même, il n’assiste qu’extrêmement rarement à des réunions « physiques » au Kremlin (ni ailleurs) et privilégie les consultations virtuelles.
Venons-en, maintenant, aux images qui circulent (si elles sont authentiques) : que montrent-elles ? On peut distinguer un drone de petite taille et ayant donc un rayon d’action limité et qui ne peut, à l’évidence, avoir été lancé depuis l’Ukraine pour atteindre la capitale russe. De plus, les images du drone explosant au-dessus du Kremlin ont manifestement été tournées depuis plusieurs angles différents, ce qui est peu compatible avec une attaque surprise. On peut même penser qu’elles ont été générées par une I.A. et que l’on serait donc en face d’un « deep-fake ».
Sur le plan tactique, il est fort peu probable que les moyens de détection et anti-aériens en place autour des principaux lieux de pouvoir moscovites permettent à un drone d’arriver au-dessus du Kremlin.
Et s’il s’agissait d’un « inside job », ou d’une opération intérieure visant à éliminer Vladimir Poutine pour favoriser une révolution de palais ? Les mêmes raisons que nous venons d’évoquer permettent cette d’écarter cette hypothèse d’un complot interne contre le maître du Kremlin. Ceux qui pourraient penser à mener une telle opération (et qui ont les moyens) savent que frapper le Kremlin est inutile et, de toute façon, quasiment impossible à toucher.
Bien entendu, on peut penser à une action d’éléments ukrainiens incontrôlés. Mais de telles actions n’ont pas été constatées depuis le 24 février 2022 ; alors pourquoi maintenant, alors que toute l’énergie de Kiev est tendue vers le lancement et la réussite d’une contre-offensive déterminante ?
Le plus probable est donc bien une manœuvre de « déception » montée de toutes pièces par les services russes en vue de justifier une intensification des opérations en Ukraine à l’approche de cette contre-offensive. De telles manœuvres ont déjà été tentées par Moscou et on se rappellera qu’entre le 31 août et le 16 septembre 1999 (alors que Vladimir Poutine venait d’être nommé Premier ministre), une série de cinq attentats avaient fait près de trois cents morts et de mille blessés en Russie.
Ils devaient précipiter le déclenchement de la deuxième guerre de Tchétchénie et faciliter la nomination de Poutine à la présidence ad intérim, le 31 décembre, après la démission de Boris Eltsine pour « raisons de santé ». Or un consensus existe de longue date dans la communauté du renseignement et chez les meilleurs experts indépendants de la Russie pour estimer que ces attentats ont réalisés par le FSB sur ordre de celui qui allait accéder au pouvoir suprême moins de quatre mois plus tard….
Hugues Krasner
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Source: LPOST
