« Pentagon Leaks », Episode 1 : comment un petit informaticien de 21 ans a dupé l’U.S. AIR Force


« Pentagon Leaks », Episode 1 : comment un petit informaticien de 21 ans a dupé l’U.S. AIR Force

C’est la nouvelle affaire qui défraye la chronique, à Washington, depuis des semaines, et qui met à mal le fonctionnement des services de renseignements américains, de la Défense et même les Affaires étrangères. Une affaire, aussi, qui des années après les révélations de Julian Assange ou Edward Snowden, jette un éclairage cru sur la manière dont le secret et la sécurité nationale sont gérés de l’autre côté de l’Atlantique.
Tout commence au début du mois de mars dernier : des documents classifiés commencent à apparaître sur « Discord », une plateforme de discussions en ligne fréquentée, pour l’essentiel, par des amateurs de jeux vidéo. D’autres sont publiés sur « YouTube », entre autres sur un fil destiné aux fans d’une célébrité philippine. Parfois, ils sont accompagnés d’un bref commentaire, de type « voici des documents qui ont fuité ». Mais derrière la banalité de cette présentation, ce sont bel et bien des documents ultraconfidentiels qui circulent sur le web et qui sont de nature à troubler les relations entre Washington et ses alliés.
Pour le FBI, un retard à l’allumage certain….
Les services de renseignement américains et le FBI mettent un certain temps à se rendre compte, début avril, que quelqu’un est en train de distiller les joyaux de la couronne : des documents ultra-secrets portant aussi bien sur des évaluations américaines des forces ukrainiennes que sur la stratégie de Kiev ou sur les relations entre le renseignement russe et ses homologues du Golfe. Un retard de plusieurs semaines, donc, d’autant plus inquiétant qu’en fait, les premières publications semblent remonter au mois de janvier dernier; au moment où les autorités sont alertées, cela fait donc quatre mois, ni plus ni moins, que des captures d’écran de documents émanant du Département de la Défense circulent.
Un « véritable brouillard de guerre » répandu afin de déstabiliser les analystes militaires.
Si la communauté américaine du renseignement a fini par se réveiller, c’est que les choses ont pris de l’ampleur. Le 5 avril, des documents sont apparus sur un forum de « 4chan », l’un des centres les plus importants et les plus controversés de la sous-culture Internet. Plus précisément, ils ont été publiés dans des échanges entre complotistes sur le nombre exact de victimes ukrainiennes et russes dans le conflit qui fait rage à l’Est de l’Europe. Et cette fois-ci, ils ne passent pas inaperçus : quelques heures plus tard, on retrouve les mêmes pièces sur des chaînes « Telegram » pro-Kremlin tandis que des blogueurs militaires commencent à les discuter. Enfin, ils commencent à trouver leur chemin vers la une des grands médias, entre autres du  Washington Post.
Avec une différence toutefois : si les documents originaux publiés depuis des semaines semblaient authentiques (il s’agit en fait de photographies de captures d’écran, souvent de mauvaise qualité), les propagandistes du Kremlin, eux, leur font subir certaines modifications, par exemple, pour réduire le nombre de soldats russes tués et gonfler les pertes ukrainiennes.
A Moscou, d’ailleurs, les commentateurs ne tardent pas à monter à ligne et à dénoncer une manipulation américaine, un « véritable brouillard de guerre » répandu afin de déstabiliser les analystes militaires. Un document, en effet, met en cause les capacités réelles des Ukrainiens à mener une contre-offensive pourtant très attendue. Un autre évoque des réserves de munitions qui, à Kiev, fondraient comme neige au soleil. Sur Rossiya1, la télévision publique, Yuri Podolyaka, un éminent analyste militaire déclare ainsi que ces fausses informations ne visent qu’à induire la Russie en erreur…
Mais à Washington, désormais, on prend les choses au sérieux. Du bout des lèvres des porte-paroles ont fini par admettre que les documents publiés « semblaient authentiques », même s’il apparaissait que certains avaient été « retravaillés ».
« Un risque très grave pour la Sécurité nationale »
Le FBI a donc ouvert une enquête. Première conclusion à laquelle arrivent les limiers du contre-espionnage : la fuite provient probablement d’une personne qui a accès à l’ensemble de la production du Pentagone et de ses échanges avec ses partenaires qu’à un spécialiste n’œuvrant que dans un domaine spécifique.
En effet le spectre est très large : dans les publications qui ont commencé à inonder les rédactions, on trouve aussi bien des renseignements concernant la guerre entre l’Ukraine et la Russie, que la Chine ou des alliés des États-Unis tels qu’Israël, la Corée du Sud, les Emirats Arabes Unis ou le Canada. On évoque désormais un « risque très grave pour la sécurité nationale » et le Secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, déclare que les Etats-Unis « retourneront chaque pierre jusqu’à ce que nous trouvions la source et l’étendue de la fuite ».
La plus grande fuite d’informations secrètes américaines sur la guerre en Ukraine depuis l’invasion totale de la Russie.
Paradoxalement, la diversité des documents ayant fait l’objet de ces fuites facilite le travail des enquêteurs : un travail de recoupement (qui, certes, évoque la tâche d’un moine bénédictins plongé dans les archives vaticanes mais qui est tout à fait réalisable) devrait permettre de réduire le nombre de suspects. Il s’agira de déterminer le niveau de classification de chaque document, de retracer son parcours et, à partir de là, de découvrir comment les informations ont été retirées des systèmes d’information de la Défense. Et, surtout, par qui.
Le ou le(s) suspect(s), bien entendu, risque(nt) gros. Ils pourraient être inculpés d’espionnage ; Chelsea Manning (« Bradley » Manning avant sa transformation), la source de WikiLeaks a, par exemple, été condamnée à trente-cinq ans de prison mais a vu sa peine réduite à sept ans par Barack Obama avant d’être aujourd’hui libérée. Edward Snowden, aujourd’hui réfugié en Russie dont il a acquis la nationalité le 1er décembre 2022, a fait l’objet de poursuites pouvant lui valoir trente ans de prison.
La plus grande fuite d’informations secrètes sur la guerre en Ukraine
Certes, l’ampleur de ces fuites n’a rien de commun avec celles de WikiLeaks dont Julien Assange fut le maître d’œuvre sur la base (entre autres) des millions de documents transmis par Manning en 2006, ni même des centaines de milliers d’autres qu’Edward Snowden rendit publics en 2013. Mais il s’agit, incontestablement de la plus grande fuite d’informations secrètes américaines sur la guerre en Ukraine depuis l’invasion totale de la Russie il y a 14 mois. Certains documents étant par ailleurs très récent et datant de quelques semaines avant leur publication.
Dans la deuxième quinzaine d’avril, une semaine après le déclenchement de l’enquête, le procureur général Merrick Garland annonce l’arrestation d’un jeune employé de la Garde nationale, « dans le cadre d’une enquête sur des allégations de retrait, de conservation et de transmission non autorisés d’informations classifiées relatives à la défense nationale ».
Le suspect, Jack Teixeira, est âgé de 21 ans et le moins que l’on puisse dire est que son arrestation, dans une zone paisible du Massachusetts (Nord-Est) a donné lieu à une véritable démonstration de force du FBI : hélicoptères, véhicules blindés, agents lourdement armés, rien n’a échappé aux médias qui la filmaient en direct.
Mais le plus étonnant, c’est que Teixeira, qui se faisait appeler « O.G. » ait pu poursuivre ses publications pendant des mois à travers le petit groupe, baptisé « Thug Shaker Central », qu’il animait sur Discord. Et ce sans attirer l’attention et sans être inquiété.
Des complotistes, amoureux des armes et de Dieu
Certes, « Thug Shaker Central » était un groupe de discussion « sur invitation », donc fermé, qui ne rassemblait qu’une trentaine de personnes, mais l’on ne peut qu’être surpris que le rôle de leader de ce groupe d’un membre de la Garde nationale ait échappé aux services de renseignements d’un pays qui possède des outils de contrôle du trafic informatique sans équivalent au monde.

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Source: LPOST

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