Réforme des retraites : une victoire à la Pyrrhus pour le président Macron
Et soudain, du 2 rue de Montpensier dans le premier arrondissement de Paris, telle la fumée blanche s’échappant à Rome de la chapelle Sixtine pour annoncer l’élection d’un nouveau pape, la sentence des « neuf Sages » du Conseil constitutionnel tomba peu avant 18h ce vendredi 14 avril 2023. Avec une information tant attendue depuis des semaines : la loi sur la réforme des retraites est validée sur sa constitutionnalité pour son principal article, le fameux article 7 qui déplace l’âge légal du départ à la retraite de 62 à 64 ans. Dans le même temps, le Conseil constitutionnel a retoqué six articles dits « cavaliers », dont celui sur l’index seniors qui prévoyait l’obligation aux employeurs de communiquer le nombre de leurs salariés de plus de 55 ans… Les syndicats et les partis d’opposition restent mobilisés pour mener le combat. Le blocage du pays risque de durer et un cadeau au Rassemblement national de Marine Le Pen…
Avant l’annonce du Conseil constitutionnel, présidé par l’ex-Premier ministre Laurent Fabius, dans la journée, le ministère de l’Intérieur a relevé 210 manifestations dans le pays (contre plus de 300 la veille), qui avaient réuni 380.000 personnes selon les forces de l’ordre (1 million, selon les syndicats). La Première ministre, Elisabeth Borne, passait sa matinée dans un supermarché en Eure-et-Loire, alors que le Président de la République, Emmanuel Macron, faisait une visite de chantier à Notre-Dame-de-Paris, à l’occasion du quatrième anniversaire de l’incendie qui avait grandement endommagé la cathédrale. Il en profita pour lancer : « Tenir le cap, c’est ma devise. Je ne lâche jamais »…
Ni vainqueur, ni vaincu
Syndicats et partis d’opposition y ont vu et entendu une nouvelle provocation verbale du Président. Cette même journée, de 9h à 16h sans pause « méridienne », les « neuf Sages » se plongeaient pour une dernière lecture de la loi sur les systèmes de retraite. Cinq minutes avant l’heure prévisionnelle, les conclusions du Conseil constitutionnel étaient rendues publiques…
Dans un tweet, la Première ministre, Elisabeth Borne, écrivait : « Il n’y a ni vainqueur, ni vaincu ». Le ministre du Travail Olivier Dussopt assurait : « Nous voilà au bout du chemin institutionnel ». Et, dans l’entourage du Palais de l’Elysée, on laissait entendre que le Président de la République promulguera ladite loi avant la fin de ce week-end. Aller vite, passer au chapitre suivant, aime répéter Emmanuel Macron… même quand plus de trois-quarts des Français sont opposés à cette loi sur les retraites.
Les pompiers participaient à la 12ème journ,ée de mobilisation le 13 avril. bePress Photo Agency /KELLY LINS
Des pompiers ont pris part à la 12ème journée de mobilisation contre la réforme des retraites jeudi 13 avril. Photo Kelly Linsale / bePress Photo Agency/bppa
Et Alexis Corbière, député LFI (La France Insoumise, gauche radicale), d’assurer : « La France est dans le même état qu’en mai 1968. Elle est dans une situation de blocage ». Le « lider minimo » de LFI, Jean-Luc Mélenchon, est dans le même ton en disant : « La décision du Conseil constitutionnel montre qu’il est plus attentif aux besoins de la monarchie présidentielle qu’à ceux du peuple souverain. La lutte continue et doit rassembler ses forces ».
Le quinquennat de Macron est terminé… Il ne peut plus rien faire…
Une autre voix de la gauche d’opposition, la sénatrice Laurence Rossignol (PS, Parti socialiste) : « Il est rare que le Conseil constitutionnel soit audacieux et nous surprenne. Il va y avoir des difficultés dans le pays… Emmanuel Macron a profondément blessé le pays. Ça va être difficile pour lui ». Sandrine Rousseau, députée EELV (Europe Ecologie-Les Verts) : « Le quinquennat de Macron est terminé… Il ne peut plus rien faire… »
Menace sur l’unité syndicale ?
Justement, quel avenir pour Emmanuel Macron, Elisabeth Borne et son gouvernement ? Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT (Confédération française démocrate du travail), apporte un début de réponse : « On respecte la décision du Conseil constitutionnel, ce qui ne nous empêchera pas de continuer la lutte. Le combat syndical est loin d’être terminé ».
Sophie Binet, la toute nouvelle secrétaire générale de la CGT (Confédération générale du travail) : « Nous avons un message pour le Président de la République : ne promulguez pas la loi, renvoyez-la devant l’Assemblée Nationale… On ne peut gouverner un pays contre un peuple ». Et l’Intersyndicale a fait savoir qu’elle refusait l’invitation lancée par Emmanuel Macron pour une rencontre le mardi 17 avril prochain à l’Elysée. Hors de question, lui ont répondu les syndicalistes, pas de rencontre avant le 1er mai, date à laquelle ils appellent à « une manifestation monstre, unitaire ».
On ne peut gouverner un pays contre un peuple.
De cette longue séquence avec une première journée de mobilisation le 19 janvier dernier, nombre d’observateurs de la chose publique sont catégoriques : Emmanuel Macron en sort vainqueur, puisque sa loi peut être promulguée. Toutefois, ces mêmes observateurs pointent une autre gagnante, à l’issue de cette séquence : Marine Le Pen, la cheffe du Rassemblement National (RN, extrême droite).
Les manifestants à la 12ème journée de mobilisation contre la réforme des retraites jeudi 13 avril. bePress Photo Agency /KELLY LINS
Des manifestants participent à la 12e journée d’action contre la loi de réforme des systèmes de retraites. Photo Kelly Linsale / bePress Photo Agency/bppa
Silence du RN durant la mobilisation
Dans la foulée de la décision du Conseil constitutionnel, la présidente du RN a déclaré : « Si la décision du Conseil constitutionnel clôt la séquence institutionnelle, le sort politique de la réforme des retraites n’est pas scellé. Le peuple ayant toujours le dernier mot, il lui appartiendra de préparer l’alternance qui reviendra sur cette réforme inutile et injuste ». Mais durant toute cette séquence, avec son parti, Marine Le Pen a brillé par son silence. Elle qui a déjà annoncé sa candidature à la présidentielle de 2027, avance à pas feutrés et a gagné en respectabilité sans rien renier de ses convictions originelles.
Le peuple ayant toujours le dernier mot, il lui appartiendra de préparer l’alternance.
En fin de soirée de ce 14 avril, des manifestations se poursuivaient avec, en point d’orgue à Rennes (Ille-et-Vilaine), la porte d’un commissariat incendiée. Ce qui a fait dire à Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre de François Hollande : « La colère monte, la violence s’installe… Les Français n’en peuvent plus… »
Serge Bressan (à Paris)
>Ce que le Conseil constitutionnel a validé
Les sages ont donc validé le cœur de la réforme des retraites, à savoir le relèvement de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans d’ici à 2030, ainsi que l’allongement de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein de 42 à 43 ans d’ici à 2027.
Approuvée aussi, la fin des principaux régimes spéciaux (RATP, EDF/Engie, Banque de France) pour les futurs embauchés, à partir du 1er septembre.
Le Conseil constitutionnel a également jugé conforme à la Constitution la revalorisation des petites pensions, à la fois pour les retraités actuels et futurs, mais aussi la refonte des « carrières longues », qui permettra à l’avenir de partir entre 58 et 63 ans, ou encore le « fonds d’investissement » pour les métiers pénibles.
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Source: LPOST