Vaccins anti-Covid-19 : avis de tempête pour la Commission européenne (et sa présidente)
(De gauche à droite) Albert Bourla, PDG de Pfizer, le Premier ministre belge Alexander De Croo, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et la scientifique allemande, CMO et co-fondatrice de BioNTech Ozlem Tureci supervisent la production du vaccin Pfizer-BioNtech Covid-19 lors d’une visite à l’usine du laboratoire pharmaceutique américain Pfizer, à Puurs, le 23 avril 2021. AFPCoup de tonnerre dans un ciel qui n’était déjà plus tout à fait bleu : le « New York Times » a annoncé en ce début de semaine qu’il poursuivait en justice la Commission européenne pour ne pas avoir rendu publics des SMS échangés entre sa présidente, Ursula von der Leyen, et le PDG de Pfizer, Albert Bourla. De quoi relancer la machine à rumeurs sur le cadre dans lequel ont été passés les faramineux contrats de vaccins contre le Covid-19. Outre la plainte déposée par le quotidien new-yorkais, trois institutions européennes se penchent en effet sur le dossier (et pas seulement sur les vaccins de Pfizer) : la Cour des comptes, le Parquet européen (spécialisé dans la lutte contre la corruption) et le Parlement européen dont la commission spéciale sur le Covid-19 vient de voter en faveur de la convocation de Mme von der Leyen pour s’expliquer sur l’achat de vaccins. Il est évident qu’un minimum de transparence de la Commission et de sa Présidente serait la bienvenue. Faute de quoi, la vingtaine de mois qui viennent (le mandat de Mme von der Leyen prendra fin le 30 novembre 2024) risquent d’être agitée et la Commission, pièce essentielle de l’architecture européenne, se trouvera affaiblie dans une des périodes qui, entre la guerre en Ukraine et la crise énergétique, est déjà l’une des plus difficile que l’Europe a vécue depuis des décennies.
C’est le 25 janvier que l’affaire a été introduite devant la Cour de justice de l’Union européenne, la plus haute juridiction de l’Union. Le quotidien américain fait valoir que la Commission européenne est légalement tenue de divulguer les messages échangés entre sa présidente Ursula von der Leyen et le PDG de Pfizer, Albert Mr Bourla, dans la mesure où ils pourraient contenir des informations sur les accords conclus par l’Union européenne pour l’achat de milliards d’euros de doses de vaccins.
Tout commence en avril 2021, lorsque Mme von der Leyen, dans une interview au NYT, déclare que, dans le mois qui avait précédé la signature des contrats, elle avait échangé de nombreux textos avec Albert Bourla. En revanche, elle refusait de communiquer leur contenu, que ce soit au New York Times ou à des médias européens, arguant du fait qu’ils « n’avaient pas été conservés ».
La médiatrice européenne fustige une mauvaise administration
Saisie du dossier, la médiatrice européenne, Emily O’Reilly (en charge de la surveillance de la transparence et de la bonne gouvernance des institutions) entre alors en jeu. Sans plus de succès.
Mais par la suite, la médiatrice a découvert qu’aucune recherche sérieuse n’avait été faite pour la bonne raison, lui dit-on, que les messages n’étaient pas considérés comme des « documents » méritant d’être conservés au titre de la transparence du fonctionnement des institutions et n’étaient donc pas archivés. C’est ce qui l’a amenée à évoquer, en janvier 2022, une « mauvaise administration » et à affirmer que « cette façon d’agir ne répond pas aux attentes en matière de transparence ». Du côté de la Commission, on rétorquait que « les documents éphémères et de courte durée ne sont pas conservés…» Ce qui amenait la médiatrice à se faire plus précise : « Ces messages entrent dans le cadre de la législation européenne sur l’accès du public aux documents […] s’ils concernent le travail de l’institution… ».
C’est sur ce rapport de Mme O’Reilly en janvier 2022 que le New York Times base son action en justice.
Cette affaire de SMS a déjà fait couler beaucoup d’encre et a largement alimenté la machine à fantasmes des complotistes dont beaucoup n’ont pas hésité à clamer que si ces messages étaient dissimulés, c’est probablement parce qu’ils attestaient d’une affaire de corruption.
Mais au-delà des SMS litigieux, ce qui est en cause, c’est l’ensemble de la gestion des commandes de vaccins par l’exécutif européen.
Petit historique de la commande des vaccins
Un retour en arrière s’avère donc indispensable. Ce que l’on sait de manière certaine, c’est qu’en 2021, la Commission européenne, s’est inquiétée de voir les Etats membres négocier en ordre dispersés et se livrer à une sorte de concurrence entre Etats qui aurait pu influencer les prix ou même menacer l’égalité d’accès des citoyens de l’Union aux vaccins. Si on se rappelle la pagaille qui avait marqué, lors des premiers mois de la pandémie, la chasse aux approvisionnements en masques et matériels de protection, en respirateurs ou en tests de détections, cette crainte n’avait rien d’infondé. La Commission a donc décidé de se charger elle-même de cette négociation.
Ensuite, Mme von der Leyen s’est impliquée elle-même dans les discussions, ce qui est relativement inhabituel, mais peut s’expliquer par le fait qu’elle est, elle-même (entre autres, car il s’agit d’une surdiplômée…), médecin de formation, et il se dit même qu’elle aurait « écarté» les équipes normalement chargées de ce genre de tractations pour négocier directement le contrat avec Pfizer. Ceci a, évidemment, nourri de nombreuses thèses complotistes.
Le degré exact de l’implication d’Ursula von der Leyen reste toutefois difficile à déterminer. De même bien entendu que les motivations de la présidente de la Commission européenne. Il est tout à fait possible qu’elle ait décidé de se charger elle-même du dossier pour éviter les lourdeurs de l’exécutif européen pour tout ce qui concerne les passations de marché. Après tout, on se rappellera qu’il y avait, à l’époque, urgence à se procurer rapidement les vaccins qui étaient le seul moyen d’enrayer la pandémie. Il est également possible qu’elle se soit concentrée sur les « négociations préalables » au cours desquelles, dans ce type de contrats, on évoque le cadre général de l’opération, les budgets en cause et les délais de mise en œuvre avant de passer à la phase de rédaction des contrats qui, elle, passe en général par des cabinets d’avocats.
Le Parquet européen s’intéresse au dossier
Cela étant il ne faut pas oublier que c’est Ursula von der Leyen elle-même qui, la première, a évoqué ces échanges en déclarant au New York Times, en avril 2021, que dans les semaines qui avaient précédé la signature des contrats, elle avait échangé de nombreux textos avec Albert Bourla. L’aurait-elle fait si elle avait quelque chose à cacher ? Et si elle avait eu quelque chose à cacher, peut-on sérieusement penser que des messages auraient été échangés sur les téléphones des deux protagonistes de l’affaire ?
En tout état de cause, on peut espérer finir par y voir plus clair. Outre la plainte déposée par le quotidien new-yorkais, trois institutions européennes se penchent en effet sur le dossier (et pas seulement sur les vaccins de Pfizer) : la Cour des comptes, le Parquet européen (spécialisé dans la lutte contre la corruption) et le Parlement européen dont la commission spéciale sur le Covid-19 vient de voter en faveur de la convocation de Mme von der Leyen pour s’expliquer sur l’achat de vaccins. Il revient à la présidente du Parlement, Roberta Metsola, de décider si elle donne suite ou non à cette « invitation » en la transmettant à la Commission. D’autre part, plusieurs Etats-membres (dont la Belgique et l’Irlande) demandent également des précisions sur les termes exacts des négociations entre la Commission et les laboratoires et souhaitent savoir, très précisément, ce qui a été promis.
Reste qu’il est évident qu’un minimum de transparence de la Commission et de sa Présidente serait la bienvenue. Faute de quoi, la vingtaine de mois qui viennent (le mandat de Mme von der Leyen prendra fin le 30 novembre 2024) risquent d’être agitée et la Commission, pièce essentielle de l’architecture européenne, se trouvera affaiblie dans une des périodes qui, entre la guerre en Ukraine et la crise énergétique, est déjà l’une des plus difficile que l’Europe a vécue depuis des décennies.
Hugues Krasner
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Source: LPOST
