Les réseaux de Ramzan Kadyrov sèment la mort en Europe avec la bénédiction de Vladimir Poutine
L’assassinat d’un opposant tchétchène en Suède confirme que les réseaux du dictateur tchétchène Ramzan Kadyrov, très présents en Europe, ne reculent devant rien pour traquer les opposants au tout puissant dirigeant de Grozny. Entre deux services rendus au régime de Vladimir Poutine auquel Kadyrov doit tout. Cet assassinat jette, à nouveau, une lumière crue sur les méthodes des milices de Ramzan Kadyrov. Le président de la Tchétchénie, qui persécute aussi bien les opposants politiques que les homosexuels et autres « déviants », n’oublie rien et ne pardonne rien. Evocation du pouvoir du Maître de Grozny.
Il s’appelait Toumso Oumaltovitch Abdourakhmanov, il avait 36 ans et son militantisme empêchait Ramzan Kadyrov de dormir. Mais le seigneur de la guerre qui règne en maître sur Grozny depuis l’assassinat de son père, le 9 mai 2004, peut (provisoirement ?) retrouver le sommeil : Abdourakhmanov est mort, criblé de balles, en Suède, le 2 décembre dernier.
L’homme était né en décembre 1985 à Grozny, fils d’un dissident qui avait passé 18 ans au Goulag pour « activités antisoviétiques ». En juin 2013, alors qu’il occupe un poste de direction dans une entreprise d’Etat, il créé deux chaines YouTube dans lesquelles il critique et moque abondamment le régime en place. Très vite son activisme et son influence (ses deux chaînes toucheront près de 500 000 personnes, sur une population totale d’un peu plus d’un million et demi de Tchétchènes) dérangent Kadyrov, dont l’entourage fait courir le bruit que le jeune Youtubeur est un « sunnite extrémiste ».
Désormais, avant d’aller te coucher, assure-toi que la porte est fermée.
Le 8 novembre 2015, Abdourakhmanov et sa famille fuient Grozny en direction de la Géorgie, où ils demandent l’asile politique. La riposte est immédiate : la Russie[1] délivre un mandat d’arrêt international, puis demande à Interpol d’émettre une « Notice rouge », cet instrument qui signale à toutes les polices du monde qu’un suspect est à rechercher et à arrêter en priorité. Motif : Abdourakhmanov serait un « sympathisant de Daech » souhaitant gagner la Syrie pour y participer au djihad.
Vendetta par le sang
Déclaré indésirable en Géorgie, l’opposant gagne la Pologne où il est interné dans un centre de rétention pour candidats réfugiés. S’en suit une longue bataille juridique. Interpol, après enquête, a retiré sa « notice rouge », mais Abdourakhmanov reste un personnage sulfureux. En mars 2019, après qu’il ait violemment critiqué le père de Ramzan Kadyrov, le président du parlement tchétchène, Magomed Daoudov, lance contre lui une « vendetta par le sang », véritable fatwa à la sauce de Grozny : « Désormais, avant d’aller te coucher, assure-toi que la porte est fermée », lui conseille-t-il. « Assure-toi que la chaîne de sûreté est accrochée. […] Nous ne te laisserons pas dire tout ce que tu veux. La Pologne n’est pas si loin que ça. Aucun endroit ne l’est, tous les endroits sont accessibles. Nous te demanderons des comptes, avec la permission de Dieu ».
Menacé d’expulsion vers la Russie où il sait que sa vie est en danger, le dissident s’enfuit à nouveau, cette fois vers la Suède. Nouveau combat juridique : cette fois, les autorités invoquent le « règlement de Dublin » qui veut que le candidat à l’asile doive défendre son dossier dans le premier pays où il a été enregistré. Il faudra une tentative d’assassinat pour que Stockholm lui accorde enfin l’asile demandé : le 26 janvier 2020, il est agressé chez lui, dans son sommeil, à coups de marteau. L’auteur des faits et sa fille (deux Tchétchènes) sont arrêtés. Le principal auteur des faits sera ensuite condamné à 22 ans de prison en appel. Durant l’enquête, la Sapö (« police de sécurité », les services secrets suédois) établira formellement que les services de sécurité tchétchènes et russes étaient derrière cette attaque. Pour Stockholm, le doute n’est pas permis : l’attaque avait été planifiée à Moscou.
Le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov (à gauche) serre la main de l’acteur belge Jean-Claude Van Damme (à droite) lors d’une cérémonie marquant le 35e anniversaire du dirigeant tchétchène. BELGAIMAGE
Le dirigeant tchétchène adore les stars de cinéma. Ici avec l’acteur belge Jean-Claude Van Damme en octobre 2011.
Abdourakhmanov, lui, poursuit ses activités critiques. Jusqu’à ce 2 décembre, jour où, rattrapé par son destin après sept années de cavale, il est enlevé par un groupe d’inconnus et abattu dans la banlieue de Stockholm[2]. Une nouvelle preuve que Ramzan Kadyrov a le bras aussi long que sa mémoire des offenses qu’il estime lui avoir été faites.
Kadyrov, l’homme qui ne pardonne rien
Cet assassinat jette, à nouveau, une lumière crue sur les méthodes des milices de Ramzan Kadyrov. L’homme, qui persécute aussi bien les opposants politiques que les homosexuels et autres « déviants », n’oublie rien et ne pardonne rien. La liste est déjà longue de ceux qui ont payé sa haine au prix de leur vie.
Le 3 mars dernier, à Munich, un tribunal avait accusé « Vahid D. », un ressortissant russe (d’origine tchétchène) d’avoir planifié l’assassinat d’un jeune frère d’Abdourakhmanov, dans le but d’intimider et de faire taire le blogueur. Selon les juges allemands, l’homme aurait conçu son opération sur ordre d’un membre des services de sécurité de Kadyrov qui lui aurait remis une arme à feu, des munitions, un silencieux et un peu d’argent tout en lui promettant une prime de 60 000 dollars une fois le forfait accompli.
Cet assassinat jette, à nouveau, une lumière crue sur les méthodes des milices de Ramzan Kadyrov.
En février 2022, c’est une journaliste de Novaïa Gazeta spécialisée dans le Caucase, Elena Milashina, qui quittait Moscou à la suite des nombreuses menaces émanant de l’entourage du maître de Grozny. Novaïa Gazeta était, jusqu’en mars dernier, l’un des rares journaux indépendants russes, ce qui avait valu à son rédacteur en chef, Dmitri Muratov, le Prix Nobel de la Paix 2020. Le média a été contraint de fermer en mars 2022, quelques semaines après le début de la guerre en Ukraine et s’est installé depuis à Riga où il publie une édition européenne.
Plus inquiétant encore, en janvier dernier, les forces de sécurité tchétchènes, agissant très loin de leur zone normale d’activité, « arrêtaient » dans le nord de la Russie, l’épouse de Saidi Yangulayev, un ancien juge fédéral russe d’origine tchétchène devenu opposant à Ramzan Kadyrov et la « rapatriaient » à Grozny. Sans déclencher aucune réaction du Kremlin.
Fin décembre 2021, un ressortissant russe, Vadim Krasikov, était condamné à perpétuité, à Berlin, pour l’assassinat du Géorgien Tornike Khangoshvili, abattu de trois coups de pistolet semi-automatique Glock dans un parc de la capitale allemande en août 2020, en représailles de son rôle aux côtés des séparatistes tchétchènes luttant contre Moscou dans les années 2000. Selon le site d’investigation Bellingcat, Krasikov n’est autre qu’un membre de Vympel, une unité spetsnaz (forces spéciales) dépendant directement du FSB russe qui lui aurait fourni les faux papiers nécessaires à son action.
En octobre 2021, c’est à Istanbul et Antalya que la police turque arrêtait six personnes, dont 4 Russes, soupçonnés d’avoir mené des activités d’espionnage contre des dissidents tchétchènes installés en Turquie, très probablement dans le but de mener de futurs assassinats.
Kadyrov-Poutine : les liens de sang
Nul besoin de poursuivre cette énumération pour démontrer que les hommes de Kadyrov frappent où ils veulent et quand ils veulent. Mais comment expliquer la tolérance de Moscou pour ces pratiques ou même pire, leur complicité. Car il est évident que les réseaux de Grozny ne peuvent agir en Europe qu’avec la bénédiction des services de sécurité russes qui leur fournissent faux papiers et assistance quand ils ne font pas transiter leurs armes par la valise diplomatique.
La réponse à cette question est simple : Kadyrov assure au Kremlin le contrôle total de la turbulente Tchétchénie que Moscou a affrontée dans deux guerres sanglantes (1994-1996 et 1999-2000). En échange de quoi, le petit dictateur peut faire ce qu’il veut dans ses terres et en dehors. En remerciement de ce blanc-seing, Ramzan Kadyrov assure le patron du Kremlin de sa totale loyauté. A tel point qu’il a dépêché en Ukraine un corps expéditionnaire pour appuyer la guerre d’agression russe. Il est vrai que ses hommes y font plus de la figuration qu’ils ne combattent vraiment, mais le symbole est fort. Ce n’est d’ailleurs qu’une redite : il y a quelques années, les kadyrovtsy avaient déjà participé à la guerre du Donbass. Mieux encore : Kadyrov ne craint pas de faire de la surenchère quand Moscou le lui demande : il y a quelques semaines, il n’hésitait pas à prôner l’usage de l’arme nucléaire tactique pour réduire la résistance ukrainienne.
Il est évident que les réseaux de Grozny ne peuvent agir en Europe qu’avec la bénédiction des services de sécurité russes qui leur fournissent faux papiers et assistance.
Mais il y a plus. Ramzan Kadyrov ne recule jamais quand Vladimir Poutine, l’homme auquel il doit tout et à qui son destin est étroitement lié, lui demande de se charger de ses basses œuvres. Le 27 février 2015, Boris Nemstov, le seul véritable opposant libéral à Vladimir Poutine était abattu en plein centre de Moscou, à quelques centaines de mètres des bureaux de Poutine. Sept suspects seront identifiés, tous tchétchènes. Plusieurs d’entre eux appartenaient même aux services « de sécurité » de Grozny…
Si les services russes et les kadyrovtsy marchent main dans la main et s’échangent des services, de Moscou à Stockholm, c’est que les liens entre Kadyrov et Poutine sont d’autant plus étroits que ce sont ceux du sang.
Hugues Krasner
[1] La Tchétchénie n’est pas un Etat indépendant mais une « république autonome » membre de la Fédération de Russie. Les relations internationales, y compris judicaires, y dépendent donc de Moscou.
[2] On notera que, bien qu’annoncée par l’opposition tchétchène en exil et largement relayée par la presse mondiale, la nouvelle de sa mort n’a pas encore été confirmée par les autorités suédoises.
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Source: LPOST